Beauté

Mes petits secrets beauté : l’huile de souchet


Originaire d’Afrique, l’huile de souchet est encore peu connue en France. Pourtant, elle fait merveille tant à la cuisine que dans la salle de bains. Extrêmement nourrissante, elle permet de lutter contre le vieillissement de la peau, de soigner les petits bobos de tous les jours… et freinerait même la repousse des poils. Retour sur une huile aux vertus séculaires.
Souchet, amande de terre, noix tigrée (tiger nut)… Derrière toutes ces appellations se cache une seule et même plante, originaire d’Afrique. Un tubercule orné de rhizomes connu depuis des centaines d’années. D’ailleurs, là-bas, on la mange, comme une pomme de terre. En Espagne, au contraire, on la déguste sous forme de lait (« horchata de chufa ») alors que les Egyptiens, eux, l’utilisaient plus volontiers comme huile de table. Il est vrai que son goût de fruit sec un peu sucré est délicieux dans les salades et que ses omégas 6 et 9, ainsi que ses vitamines E en font un allié de poids de notre santé et de notre bien-être.

Une huile pour le visage

Mais si on reparle aujourd’hui de ce tubercule, c’est avant tout pour ses vertus cosmétiques. « Très riche en antioxydants – de la vitamine E - elle permet de protéger la peau du vieillissement, détaille ainsi Tiphanie Carbonnier, responsable recherche et développement chez Aroma-Zone. Elle lutte contre le processus de déshydratation et apporte à la peau élasticité et souplesse. » Un soin douceur pour les peaux sèches, qu’elles soient jeunes ou moins jeunes.

Une huile pour le corps

Extrêmement riche – grâce notamment à sa teneur en omégas 6 et 9 – elle s’avère également toute indiquée pour les peaux très sèches, voire celles qui sont sujettes à des problèmes d’eczéma et de psoriasis. Son plus ? Sa texture grasse qui permet de les nourrir et de les soulager immédiatement.
Mais sa plus grande particularité est ailleurs, confie Tiphanie Carbonnier : « Au Maghreb, elle est traditionnellement utilisée pour limiter la repousse des poils. Rien n’est prouvé mais là-bas, elle est connue pour cette propriété depuis des siècles. » De quoi en faire un partenaire incontournable dans nos efforts pour conserver durablement une peau douce… et parfaitement épilée.

Une huile pour les cheveux secs

Cette huile est également recommandée en soin pour les cheveux secs et fatigués. En nourrissant en profondeur la fibre, elle va revitaliser et redonner de l’éclat aux cheveux, y compris aux plus abîmés. Elle est d’ailleurs particulièrement adaptée aux cheveux crépus.

Une huile réparatrice

Pourquoi, également, ne pas garder un flacon d’huile de souchet dans votre armoire à pharmacie ? « Grâce aux phytostérols qu’elle contient, elle est dotée de propriétés réparatrices. Elle est cicatrisante et permet de réduire les inflammations », rappelle aussi la spécialiste. Une solution naturelle, donc, pour soulager nombre de petits maux du quotidien.

Comment l’utiliser ?

Elle peut être appliquée pure directement sur la peau, comme une crème, ce qui est une solution particulièrement adaptée aux peaux sèches. « Mais pour plus d’efficacité encore et pour lui apporter un léger parfum, on peut lui ajouter des huiles essentielles – de type huile essentielle de pamplemousse ou de rose, conseille Tiphanie Carbonnier. Tout dépend en fait des bienfaits que l’on souhaite apporter à sa peau ».
L’huile de souchet peut également être utilisée dans des préparations cosmétiques maison, plus ou moins compliquées selon votre expérience et votre envie. « Si l’on n’aime pas le contact de l’huile, on peut créer des émulsions pour le visage, mais c’est parfois un peu complexe ». Un exemple facile ? « Elaborer un beurre à partir de beurre de karité et d’huile de souchet. On les mélange en les travaillant au pilon et au mortier. On obtient ensuite une pâte onctueuse multifonction, qui peut s’appliquer autant sur le corps que sur les cheveux. »
                                       

De beaux cheveux tout l'été


Soleil, bains de mer, piscine… L’été est la saison de tous les dangers pour nos cheveux. Car derrière l’éclat que les beaux jours leur apportent se dissimule un processus de déshydratation rapide, qu’il est heureusement possible de prévenir et d’enrayer.
Laure a quasiment testé tous les salons de coiffure de sa ville, les meilleurs coloristes de sa région. Mais rien n’y a fait : le seul blond dont elle rêve 365 jours par an, c’est celui que lui confèrent naturellement le soleil et la mer pendant l’été. Et il est inimitable : « Mes cheveux sont plus clairs, le blond plus lumineux, les longueurs éclatantes. J’ai l’impression que l’eau de mer les rend plus forts, plus sains. Je ne les trouve jamais aussi beaux qu’en été. »

Mer et soleil, leurs meilleurs ennemis

Exactement comme il donne à la peau ce hâle que nous aimons tant, le soleil à petite dose offre à nos cheveux un éclat indéniable, renforcé par l’effet de la vitamine D et une alimentation en général plus équilibrée en été. Mais exactement comme pour notre peau, il peut aussi se révéler leur pire ennemi. « Le soleil déshydrate le corps en général et les cheveux en particulier, explique Céline Goin, spécialiste capillaire à l'institut You Mei. Il les décolore et les assèche, sous l’effet conjugué des rayons solaires et du sel ou du chlore qui créent un effet loupe et accélèrent ainsi le processus de déshydratation. »
Pour autant, nos cheveux ne sont pas tous égaux sous le soleil. Les cuirs chevelus à tendance grasse bénéficieront à la fois de ses rayons et de l’effet astringent de l’eau de mer, dont le sel régule la production de sébum et balaie souvent, comme par enchantement, pellicules et démangeaisons.

Prévenir le dessèchement

Le profil le plus à risque, en revanche, est à chercher du côté des cheveux fins, secs et/ou travaillés chimiquement – les colorés, décolorés ou permanentés - qui sont déjà fortement affaiblis. Ce sont eux, plus encore que les autres, qui risquent de finir l’été ternes et cassants, bien loin de l’impression de « bonne santé » que l’on espérait leur apporter.

Pour lutter contre ce redouté « effet paille », les spécialistes s’accordent à reconnaître l’importance d’un geste simple : le rinçage à l’eau douce, immédiatement après le bain, pour enlever toute trace de sel – ou de chlore - des cheveux et du cuir chevelu.
Une bonne habitude qui doit toutefois s’accompagner, pour une protection maximale, de l’utilisation d’un produit solaire spécifique à appliquer, comme pour le corps, avant même le début de l’exposition. Gels, huiles, crèmes, en pot ou en sprayseulement pour les cheveux ou mixtes… Face à l’offre existante, le plus délicat désormais est de savoir lequel choisir. « Les huiles sont très efficaces mais ont tendance à alourdir les cheveux fins, ce qui peut se révéler désagréable. Voilà pourquoi il vaut mieux privilégier pour eux des gels protecteurs plus légers et réserver les huiles aux cheveux épais », conseille Céline Goin.

Changer ses habitudes de soin

Exposés au vent et au soleil, mouillés, séchés, baignés, attachés, huilés… Nos cheveux sont soumis l’été à mille et une épreuves qui appellent des soins spécifiques. « L’objectif est de leur apporter encore plus de nutrition que pendant le reste de l’année, résume-t-elle. Ce qui signifie accélérer le rythme des masques hydratants, en passant par exemple d’une application par semaine à une utilisation quotidienne. Mais cela implique également de se tourner vers des produits moins agressifs et plus nutritifs ». Finis donc les shampoings traitants potentiellement asséchants, l’été est la saison des shampoing doux, comme ceux au pH neutre, qui sont plus adaptés à un usage quotidien.

Se tourner vers des solutions naturelles

Les plantes et les huiles essentielles peuvent également se révéler de précieux alliés pour toutes celles qui recherchent plus de naturel. Les ingrédients à privilégier ? En shampoing, la fleur d’Edelweiss, réputée pour sa légereté, et le lait d’avoine, qui présente l’avantage rare de nourrir autant le cuir chevelu que les cheveux eux-mêmes.
Pour les soins, les masques à la passiflore permettent de nourrir les cheveux fins sans les alourdir pour autant, alors que les cheveux épais préfèreront le beurre de karité ou des huiles végétales de type huile de jojoba, ultra nourrissantes.
Les plus audacieuses pourront aussi se lancer dans des recettes maison, mais toujours avec circonspection. Car en matière de cheveux, toutes les « astuces de grand-mère » ne sont pas bonnes à prendre. Parmi les bonnes idées à conserver : les masques maison aux œufs, très nutritifs, mais à réserver aux cheveux épais (les fins risquent sinon de se retrouver engorgés) et les rinçages additionnés du jus d’un demi-citron. Mais attention là encore, si le citron agit sur la kératine – et donc sur l’éclat et l’élasticité de la chevelure -, il faut absolument éviter de l’appliquer sur des cheveux secs, colorés ou permanentés, déjà très fragiles.
Céline Goin, elle, a sa recette miracle : les huiles essentielles de menthe et d’eucalyptus, qu’elle applique en massage directement sur le cuir chevelu avant le shampoing. « Elles sont très efficaces pour se débarrasser des dernières traces de sel. Et elles offrent, en prime, un effet rafraîchissant délicieux en été. » Une astuce beauté et bien-être pour que nos cheveux passent, comme nous, un été tout en douceur.
                                     

Cabines UV : une addiction mortelle ?


Etre mince ne suffit plus. Aujourd’hui, il faut aussi être bronzé pour répondre aux canons de beauté imposés par la société. On assiste donc à une ruée vers les cabines de bronzage. « Préparer sa peau au soleil », « Faire le plein de vitamine D » : ce sont les promesses de ces vendeurs de soleil, gourous d’une mode qui fait toujours plus d’adeptes. Mais cette addiction aux ultraviolets n’est pas anodine. Au contraire ! Il est dorénavant prouvé que le recours aux UV artificiels augmente significativement les risques de cancers de la peau. Le point avec le Dr Catherine Oliveres Ghouti, dermatologue.
Le rayonnement ultraviolet artificiel est classé agents cancérogènes certains pour l’homme par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) depuis 2009, au même titre que le rayonnement solaire. C’est pourquoi le syndicat National des Dermatologues Vénéréologues tire la sonnette d’alarme, à l’occasion de la Journée Nationale de Prévention et de Dépistage des cancers de la peau. Comme chaque année, 250 centres municipaux de dépistage des cancers de la peau sont ouverts à la consultation en France. 
Dans les pays occidentaux, on assiste depuis plusieurs décennies à une augmentation constante du nombre de cancers cutanés. A quoi cette augmentation est-elle due ?
Elle est évidemment due à une fréquentation accrue des plages. Les gens s’exposent bien plus au soleil qu’avant. Mais on constate également une augmentation de la fréquentation des cabines UV, qui, elles aussi, favorisent les cancers cutanés : carcinomes, mais surtout mélanomes. Ces derniers sont plus inquiétants car ils peuvent être mortels dans un tiers des cas. Selon une étude américaine menée sur quarante ans (détail en aplat), on constate une multiplication par 8 des mélanomes chez les femmes qui fréquentent des cabines UV, et par 6 chez les hommes. C’est une hausse spectaculaire, avec un risque de morbidité importante.
Pourquoi ces cabines UV sont-elles aussi dangereuses ?
Les UV A de ces lampes sont extrêmement dangereux car ils pénètrent le derme et causent des lésions, d’une part de vieillissement, mais aussi de cancer. Les UV A atteignent en effet l’ADN des cellules et les multiplient. C’est ce qui crée les mélanomes. Il faut savoir que vingt minutes d’UV correspondent à trois heures de soleil tropical ! Imaginez : certaines personnes font 2 voire 3 séances par semaine… Cette addiction aux UV est extrêmement inquiétante.

A quoi attribuez vous cette addiction ?

C’est un phénomène social. Les magazines et les publicitaires sont en partie responsables. C’est le cas par exemple de la dernière campagne de pub pour H&M qui montre une fille extrêmement bronzée, en maillot de bain. Les cancérologues suédois s’en sont émus et on demandé l’interdiction de ces affiches (voir notre post de blog). Voyez les conséquences que les images de mannequins anorexiques des magazines ont sur les comportements alimentaires des jeunes filles.… Avec le bronzage, c’est la même chose ! Etre bronzé, c’est un marqueur social, à l’inverse du XIXe siècle où seules les paysannes étaient bronzées, et où les femmes de la haute société se cachaient du soleil. Ce changement est intervenu avec le début des congés payés en 1936 : les gens se sont rués au soleil et la mode du bronzage a émergé. Aujourd’hui, on veut du soleil toute l’année.
Certaines chaînes de cabines de bronzage vantent les bienfaits des UV pour « préparer la peau au soleil ». En quoi cela prépare-t-il la peau ? 
Cela ne prépare rien du tout ! La préparation de la peau s’adresse uniquement aux gens qui ont des allergies au soleil, ce qui est très rare. Cette préparation se fait chez le dermatologue, avec des comprimés. Cela peut s’accompagner de séances d’UV, mais de très courtes durées (3 min), dans le cabinet du médecin. Quand vous allez dans les cabines d’UV, vous ne mettez même pas de crème de protection ! Il faut résister aux sirènes de ces instituts qui vous disent « Souriez, vous êtes bronzé », avec des miroirs en vitrine, et qui vous vendent l’idée que les UV vont vous apporter de la vitamine D. C’est leur nouvel argument de vente, mais il vaut mieux prendre de la vitamine D en ampoule que de risquer d’avoir un jour un mélanome !
Faut-il tirer un trait définitif sur les UV en cabines ?
Non, ce n’est pas notre discours. C’est comme tout, le danger est dans l’excès. Nous recommandons de ne pas dépasser 10 séances par an. Sauf, évidemment, si l’on est blond ou roux à la peau blanche. Dans ces cas, mieux vaut éviter les UV, même à petite dose. Et se faire dépister, bien sûr.
Comment se faire dépister ?
Si vous êtes un sujet à risque, si vous avez plus de 50 grains de beauté sur le corps, s’il y a des antécédents de cancers cutanés dans votre famille, si vous avez pris des coups de soleil dans l’enfance et bien entendu, si vous fréquentez les cabines UV, il faut montrer votre peau à un médecin. Il est aussi important de savoir reconnaître un grain de beauté qui se modifie (changement d’aspect, de couleur, de taille…).
                                            

Ce que cache notre obsession des poils


Derrière la question anodine du poil – en avoir ou pas ? – se joue une partition autrement plus complexe sur notre rapport au corps, à la féminité et à la sexualité. Décryptage.
Jambes, maillot, aisselles, lorsque je sors de chez l’esthéticienne, j’ai l’impression d’être légère, belle et séduisante, raconte Mathilde, 37 ans. Comme si mon corps sortait d’hibernation. D’ailleurs, je ressens mieux le soleil sur ma peau, mes vêtements glissent plus facilement, j’ai toujours plus envie de faire l’amour. » Sociologie, ethnologie, psychologie, esthétisme…, des dizaines d’essais en sciences humaines témoignent de notre fascination pour ces quelques millimètres d’animalité qui stimulent l’imagination, et beaucoup d’autres choses. Bien sûr, il y a les extrémistes du tout ou rien. Et ce depuis toujours, comme l’explique Christian Bromberger, chercheur à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative (Idemec) et auteur de Trichologies, une anthropologie des cheveux et des poils (Bayard, 2010). Dans l’Antiquité, on trouve déjà la mention des « trichophiles » (de thrixtrichos, « poil », et philos, « qui aime », en grec ancien) comme des « tricophobes ». À Rome, les esclaves esthéticiennes traquent le poil des patriciennes soucieuses de leur hygiène. Pour cette même raison, mais aussi pour se distinguer des barbares hirsutes, les légionnaires combattent cheveux ras, visage imberbe. En Égypte ancienne, le physique glabre de la noblesse et des scribes est un marqueur social qui les différencie des esclaves, chevelus et poilus. En France, l’épilation suit l’influence plus ou moins forte de la religion chrétienne, qui, au Moyen Âge, impose de ne pas toucher à ce que, par nature, Dieu a donné. Au XVIe siècle, la noblesse féminine, qui souhaite paraître diaphane, s’épile ou se rase le haut du front pour ressembler à Marie Stuart. Imams, rabbins, popes et autres religieux affichent quant à eux, et depuis toujours, une barbe bien fournie.

Religion, climat, hygiène, morale… les raisons de garder ou non les poils se succèdent autant qu’elles se contredisent. Mais revenons à nous, ici et aujourd’hui. Il y a d’un côté les poils qui poussent inexorablement – sur la tête, sur le corps, sur le pubis – et, de l’autre, des armes d’épilation massive toujours plus nombreuses, toujours plus performantes. Entre les deux, il y a nous, avec plus ou moins de poils, selon nos préjugés, nos fantasmes, nos contraintes.
À moins d’être dotée d’un tempérament très nature façon allemande, espagnole ou portugaise, ou d’être provocatrice et assez courageuse, comme Julia Roberts montrant ses aisselles velues en 1999, à la première du film Coup de foudre à Notting Hill, à Londres (l’actrice n’a jamais réitéré l’exploit et s’est abstenue de tout commentaire pileux militant), cela fait longtemps que les poils n’ont plus le droit d’exister publiquement sur les jambes et les aisselles des femmes.

Vie publique, vie privée, le lisse domine…

Un simple coup d’œil aux corps qui s’étalent à la une des magazines, dans la rue et bientôt sur la plage suffit à vérifier qui, du duel rasoir versus poil, est sorti vainqueur ! Le lisse l’emporte en société. Une victoire que confirme l’ethnologue Juliette Sakoyan, auteur du mémoire De la cire au laser : l'adieu au poil dans la société contemporaine : « Les canons actuels de la féminité résident dans un idéal de peau douce, qui appelle la caresse et évoque la jeunesse, l’innocence. » Et de préciser que l’épilation s’inscrit d’emblée dans la triade de notre quête du lisse : pas de poils, pas de graisse, pas de rides.
S’épiler va donc de soi, et l’arsenal « antipoils » s’enrichit de nouvelles technologies toujours plus efficaces. Sans oublier les auxiliaires de type gels douches qui facilitent le rasage, déodorants et crèmes qui freinent la repousse des poils, laissent la peau nette et soyeuse… Pour la plupart des femmes, l’épilation est devenue un geste aussi banal que le brossage des dents : 87 % déclarent la pratiquer régulièrement, 12 % lorsque le poil est visible, 1 % jamais, selon l'enquête Ipsos pour Nair Les Françaises et l'épilation (2006, mise à jour en 2009). Paradoxe poilant, à l’heure du retour au naturel, la « déforestation » du corps féminin, comme aujourd’hui celle du corps masculin, est donc devenue la norme.
En publiant une enquête sur les nouvelles tendances de l’épilation pubienne (Les nouvelles tendances de l'épilation maillot, 15 janvier 2010), le magazine Elle a créé l’événement, ouvrant le débat sur la banalisation du « jardin secret », ou comment le cœur de l’intime devient sujet – objet ? – de mode. Choix personnel, simple désir d’être bien dans un corps sans poils, soumission plus ou moins consciente au diktat esthétique de la mode ? Même Le Monde dans son article La tyrannie de l'épilation (7 mars 2010) s’interroge : souci hygiéniste ou influence indirecte des professionnelles du porno qui s’affichent glabres sur Internet ? C’est dire si la question passionne les experts, les spectateurs et, bien entendu, les premières intéressées. Comme pour les autres endroits du corps, jambes ou aisselles, il existe autant de « trichophiles » que de « trichophobes », d’adeptes du pubis lisse que du buisson-ardent. Les psychanalystes voient dans les sexes épilés un refus de grandir (appelés « caractères sexuels secondaires », les poils témoignent de la maturité sexuelle) et une peur des rapports. Quant à celles et ceux qui éradiquent le poil dans un souci de distanciation vis-à-vis de la virilité et, d’une certaine façon, de l’animalité, ils devraient savoir que s’il y a un endroit où les animaux à poils n’en ont pas, c’est bien sur les parties génitales ! Un peu, beaucoup, partout, par endroits, de temps en temps, définitivement…, s’épiler va à l’encontre du laisser-aller de l’hiver et de la déprime. Et, une chose est sûre, l’été est la saison du lisse, de la légèreté et de la séduction.

À quoi sert le poil ?

À l’origine, le poil servait à nous isoler du froid et à réguler la température de notre corps, explique Joëlle Sebaoun, dermatologue. Aujourd’hui, il permet de conserver le film hydrolipidique de la peau : la glande sébacée guide le sébum (sécrétion grasse et hydratante) le long du poil vers l’extérieur. Une fois la peau épilée, l’hydratation se fait donc moins bien. Le poil ne se contente pas de retenir l’eau, il retient aussi les odeurs, notamment sous les bras et sur le pubis, raison qui pousse les femmes, mais aussi les hommes, à s’épiler plus ou moins intégralement. Appelés « caractères sexuels secondaires », les poils témoignent de la maturité sexuelle, et ont également pour fonction de conserver les odeurs sexuelles – les phéromones –, qui émettent un puissant signal érotique.

Les méthodes d'épilation

Non définitives
Le rasoir (jambes et aisselles) : indolore, rapide et peu coûteux. La peau est impeccable, mais les poils repoussent en vingt-quatre heures, plus drus. Se raser tous les jours irrite les peaux sensibles.
Les dépilatoires chimiques (jambes, aisselles, maillot) : rapides et indolores. En crème ou en lotion, ils détruisent la kératine de la partie extérieure du poil. La peau est douce, et les poils repoussent en deux ou trois jours.
Les épilateurs électriques (jambes, aisselles pour les plus courageuses) : rapides, un peu douloureux et plus chers à l’achat. Ils arrachent les poils, qui repoussent en deux ou trois semaines, plus fins. Quelques-uns peuvent rester sous la peau, d’où l’intérêt d’effectuer un gommage préalable.
Les cires à épiler (jambes, aisselles, maillot, à domicile ou en institut) : méthode plus ou moins douloureuse selon les zones et la sensibilité de chacun. Les poils réapparaissent au bout de deux à trois semaines, plus fins. Efficace même sur les poils courts, l’épilation à la cire chaude est la plus utilisée, bien que les femmes affichent désormais une préférence pour l’épilation orientale « à froid », qui laisse le système veineux et les capillaires sanguins en paix.
La lampe flash (une nouveauté) : elle est en passe de détrôner les épilateurs électriques. Il suffit de flasher les zones à épiler : les impulsions lumineuses déclenchent une chaleur qui cible la mélanine du poil et le brûle jusqu’au bulbe (impossible s’il est blond clair, blanc ou roux). Les plus fiables : Lumea de Philips, 499 € ; I-Light de Remington, 399 € ; E-One, de E-Swin, 1 350 € (sur www.e-swin.com).
Définitives
L’épilation électrique à l’aiguille (maillot, lèvre supérieure) : seule méthode définitive sûre. Le médecin introduit une aiguille jusqu’à la racine du poil, qui est brûlé au moyen d’une légère décharge électrique. Efficace, elle est longue, et douloureuse sur les zones innervées (une crème anesthésiante peut être prescrite). Compter de 40 € à 80 € la séance (remboursée si le problème est hormonal).
L’épilation au laser ou « épilation progressivement définitive » (visage, corps) : les lasers (Alexandrite, Diode, Yag, Long Pulse) utilisent la lumière, qui brûle le bulbe pileux. Pratiquée par un médecin « lasériste » diplômé, elle est efficace sur environ 80 % des poils, les 20 % restants devenant très fins. Compter de six à huit séances (de 220 € à 450 € la séance en fonction des zones).

Les hommes, enfin décomplexés !

Laisser la toison ou tout raser ? Eux aussi sont partagés entre le désir d’une pilosité abondante – signe extérieur de leur virilité – et un corps glabre, musclé, façon gladiateur. Entre les cheveux qui tombent et la barbe qui pousse, les hommes n’ont pas fini de se poser des questions sur leurs poils. Comme souvent, les modes et les tendances masculines trouvent leur origine dans le milieu homosexuel. Après les torses imberbes, les crânes rasés, les mentons lisses, sont réapparues la moustache et la barbe de trois jours ou plus fournie… Un dossier sur le retour du poil dans le magazine Têtu de mars 2010, Pour qui sonne le glabre ?, rappelle que « la barbe est la fille du bouc », lequel a fait son apparition chez les gays dès les années 1990, après la déferlante épilatoire qui avait précédé. Depuis, ce fameux bouc gambade sur les mentons des mâles à peine pubères comme sur ceux d’âge plus avancé.

Enfin décomplexés du poil, les hommes s’emparent de ces codes à leur façon. « Nous ne sommes plus dans des stéréotypes gays, assure Guillaume Cadot, spécialiste des tendances de consommation. Tous les modèles cohabitent chez tout le monde. » Avec ou sans poils, chacun choisit le modèle masculin qui lui convient : Alain Bernard, le glabre champion Olympique de natation des Jeux de Pékin, ou Sébastien Chabal, la montagne barbue de l’équipe de France de rugby. Michel, 38 ans, joue de la tondeuse sur son torse pour que les poils, dont la nature l’a généreusement doté, arrêtent de dépasser de son tee-shirt col en V. Serge, 41 ans, porte la barbe mais veille à la tailler tous les jours et à se raser dans le cou. « Sur le torse et les jambes, je trouve que c’est un signe de virilité, mais les poils dans le dos, ça fait sale », avoue Pierre, 35 ans, qui, dès les premiers jours de l’été, passe par la case épilation.

Les hommes fréquentent les instituts de beauté : ils sont 20 à 30 % à demander l’épilation au laser aux dermatologues, et un sur cinq à s’épiler, d'après l'enquête Ipsos pour Nair Les Français et l'épilation. L’influence des films porno agit-elle sur les plus jeunes ? À l’instar des filles, nombre des 18-25 ans n’hésitent plus à s’épiler pubis et testicules. Mais certains hommes – comme certaines femmes – choisissent de se libérer de cette guérilla permanente contre le poil en le laissant pousser, se débarrassant du même coup de la contrainte du rasage. La barbe de trois jours symbolise cette envie de liberté, cet esprit « vacances, j’oublie tout ». Conclusion de Guillaume Cadot : « La réapparition de la barbe de trois jours chaque jour de l’année ou du bouc taillé, au cinéma (George Clooney, Brad Pitt…), dans la mode (le couturier et réalisateur Tom Ford ou le mannequin indien Satya Oblette), chez les cadres pourtant rodés au rasage de près, marque un retour à une masculinité affichée que l’homme avait un peu perdue de vue. » Un retour au naturel et à sa propre nature dont il veut tout de même garder le contrôle.
                                 

Leçons de bien-être à la brésilienne

Leçons de bien-être à la brésilienne

Là-bas, beauté et art de vivre se conjuguent en mode tudo bem (littéralement, "tout bien"). Les femmes y sont décomplexées et célèbrent leur corps dans une joyeuse liberté.
En famille, entre amis, il suffit de lancer le mot « Brésil » pour voir les regards s’allumer. Comme si ce pays avait le pouvoir de suggérer le bonheur via des fantasmes insubmersibles. Culte du corps, archétype de la belle fille, silhouettes de rêve sculptées par le beach-volley – ou par le bistouri, c’est selon –, sensualité exacerbée par la samba et la plage, bonne humeur infaillible… Et si c’était vrai ? À quelques semaines d’une Coupe du monde très attendue, je décide d’aller me faire ma propre idée.
Les turbulences du vol entre Paris et Rio n’ont rien du fantasme. Éreintée par une nuit blanche à bord, je me dirige vers Ipanema, quartier de l’ouest de la ville, mon point de chute. Premier jus de maracujá (fruit de la Passion) à la lanchonete (le snack-bar local), puis direction la plage. Du sable blanc à perte de vue, des rouleaux impeccables, la jungle si proche, impressionnante, arrimée au Pain de Sucre, qui encercle Rio. La fatigue s’envole instantanément.

Une sensualité incroyable

Autour de moi, des familles, des bandes de copines, peu de touristes – ils sont tous à Copacabana –, une bande d’ados qui jouent au beach-volley, un surfeur. Et de-ci, de-là, desfios dental, « fils dentaire » : c’est le nom du Bikini local, un ministring qui laisse voir l’intégralité du fessier. Ici, pas de complexe, les femmes papotent face à la mer, les fesses à l’air, aux yeux de tous. Librement. Sans surprise, mes clichés de la fille cool d’Ipanema – Gisele Bündchen pour ne pas la citer – et de la bimbo totalement refaite époque Ivo Pitanguy, le pape de la chirurgie esthétique, s’évanouissent. C’est surtout la multitude de silhouettes, de couleurs de peau, de cheveux qui me frappe. Blondes, brunes, métisses, blanches, noires, petites, grandes, minces, rondes… Un seul point commun : les Brésiliennes ont les cheveux impeccablement « brushés ». Après deux jours sous un taux d’humidité record, je comprends que le lissage local est d’utilité publique !
Au fil de ce séjour qui me fera découvrir la Costa Verde, de Rio de Janeiro à Paraty, quelque chose ne cessera de m’intriguer : pourquoi ces filles sont-elles si à l’aise avec leur corps ? Il se dégage de leur attitude, de leur façon de bouger, une assurance et une sensualité incroyables. J’ai l’impression qu’elles ont tout compris, qu’elles sont juste plus spontanées et plus malignes, et surtout beaucoup plus sexys que moi. Pourtant, et c’est là l’un des grands paradoxes de ce pays-continent, je suis bien au paradis des chirurgiens esthétiques…

Entre naturel et chirurgie

« C’est assez fascinant, mais on dirait que les Brésiliennes arrivent à réconcilier des contraires, explique Sophie Cheval, psychologue et psychothérapeute. Alors que nous sommes toujours dans une dichotomie entre naturel et sophistication, tiraillées entre des injonctions contradictoires, elles ont l’air de pouvoir choisir librement : assumer leurs rondeurs et avoir recours à la chirurgie esthétique. » Elles naviguent de l’un à l’autre sans honte ni complexe. Car la finalité, c’est d’être bien dans sa peau, point final. « Les Français, et plus généralement les Européens du Nord, ont coupé le contact avec le corps, nous sommes très cérébraux, trop cartésiens », ajoute Sophie Cheval. Luiz Seabra, qui a fondé en 1969 la marque Natura, numéro un des cosmétiques au Brésil, prend tout de même notre défense : « Il existe, dans ce pays, le fantasme de la femme française, toujours belle et élégante, presque intouchable, avec une réelle sophistication de la pensée. Cette rationalité conduit probablement à un éloignement du corps, alors que les Brésiliens sont en permanence connectés au leur. »
Dans l’Hexagone, la Brésilienne la plus connue du petit écran, la styliste Cristina Cordula, le constate : ses compatriotes sont davantage désinhibées et bienveillantes, « elles prennent vraiment soin de leur corps !» Avant d’ajouter : « Au Brésil, les gens passent beaucoup de temps à la plage : mieux vaut s’accepter physiquement si on veut être heureux ! Le culte du corps est ancré dans notre mode de vie et se dénuder est normal : nos ancêtres étaient indiens, ils vivaient nus sans aucune gêne ! » Sophie Le Quillec-Obin, gestalt-thérapeute, estime que le folklore local participe pour beaucoup à l’acceptation de soi : « Les traditions, les fêtes, la danse sont vécues dès la petite enfance, et cela “décoince” beaucoup. En France, on a honte de se montrer en public, de danser, il ne faut surtout pas rire trop fort ou se faire remarquer. Et le moindre contact corporel nous place tout de suite dans le registre de la séduction, du passage à l’acte et de la sexualisation. Au Brésil, l’expression corporelle est tellement naturelle qu’on ne l’associe pas à l’étiquette “allumeuse” ! »

Le bien-être par le lien

Je comprends mieux pourquoi la touriste un peu coincée que je suis a poliment décliné les invitations à danser le forró, avec un sentiment de gêne mêlé à la peur du ridicule, alors que tous les Brésiliens présents ce soir-là dansaient à tour de rôle les uns avec les autres… Sans aucune pudeur ni la moindre arrière-pensée. Cette façon de vivre son corps librement a été mise en mots par la marque Natura sous l’expression « bem estar bem », littéralement « bien-être bien ». Se faire du bien, c’est se doter des outils pour se sentir mieux avec les autres, et cela passe par le soin du corps. « Ces principes sont la conséquence d’une relation d’harmonie, d’acceptation, de respect et d’amour de soi-même, qui provoque ensuite une empathie, une ouverture vers les autres et de la solidarité, souligne Luiz Seabra. C’est la preuve concrète que la vie est une chaîne continue de relations et qu’elles sont l’antidote à tous les excès de l’individualisme. » Le cercle vertueux du bien-être passe par le lien : pas étonnant que Natura soit distribué via un système de vente en réunions. À Rio, même les chauffeurs de taxi en sont revendeurs!: le catalogue est à disposition sur la banquette arrière ! 

Comment appliquer ces beaux principes de retour dans mon quotidien, loin de l’ambiance carioca ? Première chose, il faudrait être moins timide, renouer avec une forme d’expression corporelle oubliée. Danser plus peut-être ? Du moins, essayer de marcher sur la pointe des pieds et onduler à la moindre occasion, pour se sentir belle et unique comme ces danseuses de forró admirées à Paraty… Aller chercher plus souvent le contact avec l’extérieur, avec la nature, même si cela oblige à sortir de la jungle de béton. Rechercher toujours plus de douceur, de fluidité et de rondeur dans le rapport à soi et aux autres… L’été est la saison idéale pour expérimenter ce bem estar bem, et se mettre tout doucement à l’heure brésilienne. À vous de jouer !

Cristina Cordula : "Mon Brésil à Paris"

La beauté à la brésilienne
Sa vie est ici, mais son pays natal coule dans ses veines. La styliste Cristina Cordula nous en donne sa vision.
Un état d’esprit : « Je viens d’une famille exubérante, extravertie, qui s’exprime beaucoup. D’une manière générale, les Brésiliens sont toujours de bonne humeur, souriants. Même dans les moments tristes et difficiles, nous restons confiants et optimistes. C’est d’ailleurs ce qui me manque le plus ici, la bonne humeur et… le soleil ! »
Le soin de soi : « Comme toutes les femmes de mon pays, j’adore m’occuper de mon corps, de ma peau. À 49 ans, je vis très bien mon âge. Je fais des manucures et des pédicures toutes les semaines, et ça, c’est très brésilien ! Je fais beaucoup de soins du visage, j’applique des crèmes hydratantes. Je m’entretiens en faisant de la gym, de la musculation, et même de la boxe. J’évite les fritures et je privilégie la cuisson vapeur et les salades. Je ne bois que de l’eau, sauf au Brésil, le seul endroit où je déguste la caïpirinha ! »
Le cœur samba : « Même si je vis à Paris depuis vingt-huit ans, je reste brésilienne ! J’ai gardé mon accent et je parle ma langue natale tous les jours. J’adore les créateurs de mode de mon pays : Cris Barros ou Isabela Capeto, qui réinterprète les vêtements traditionnels. Pour la lingerie, je suis fan de la marque Verve ; et, bien sûr, je choisis mes Bikini chez Lenny Niemeyer. Chaque année, mi-septembre, je vais au Lavage de la Madeleine, le festival culturel brésilien de Paris. On danse, on chante, l’ambiance est incroyable ! »
Le foot : « Si mon cœur est partagé entre les cultures française et brésilienne, en matière de foot, je suis brésilienne à fond. Pour la Coupe du monde, mon cœur battra pour la Seleção ! 
                                     

Elles ont fait la paix avec leur corps

Elles ont fait la paix avec leur corps

Chacune à sa manière, Émilie et Ingrid malmenaient leur organisme. Mais celui-ci a, un jour, atteint le point de rupture et les a contraintes à changer leur façon de vivre. Elles racontent.

"J’ai retrouvé la satisfaction simple de manger”

Émilie, 25 ans, en recherche d’emploi
« Les premiers troubles ont surgi à 14 ans. Il me semblait manger trop. J’ai supprimé le sucré, le gras, puis réduit les portions pour finir avec un fruit par jour. Au bout de deux mois, je ne ressentais ni l’envie ni le besoin de me nourrir. C’est lorsque mes parents m’ont fait hospitaliser que j’ai entendu parler d’anorexie. Je pesais 34 kilos pour 1,67 mètre. Cette pathologie cachait un mal-être profond : mon tempérament tourmenté dévorait mon corps devenu, à mes yeux, inutile. On m’a nourrie par sonde pendant quatre mois, jusqu’à ce que je n’en puisse plus de l’hôpital. Je me suis réalimentée pour… pouvoir sortir. Mais j’ai souffert d’un grand vide que j’ai comblé par la boulimie. Du contrôle, j’ai basculé dans le lâcher total. Je suis montée jusqu’à 69 kilos. Ces années ont été les pires, entre crises de boulimie, tentatives de suicide, hospitalisations… Heureusement, il y avait les séances avec une psychiatre et l’écriture. J’ai pu dialoguer avec ma mère à travers des lettres et coucher mes maux dans un livre, Disparaître pour exister (Édilivre, 2008). Vers 18 ans, j’ai réussi à me stabiliser en rentrant dans un “processus anorexique conscient”. Mon séjour, l’an dernier, dans un foyer international a été une étape décisive. J’ai retrouvé la satisfaction simple et innée de manger. Ce fut une renaissance gustative et sensitive. Aujourd’hui, je ne me nourris pas pour me nourrir, mais pour éprouver du plaisir. J’avais tenté de tuer mes sens, ils se sont démultipliés. Grâce à la psychanalyse, je commence à m’apprivoiser, à accepter ma complexité. »

"Je ne danse plus en force, jusqu’à la douleur"

Ingrid, 31 ans, danseuse
« J’ai subi un grave accident il y a cinq ans. Je travaillais dans un cirque équestre. En une fraction de seconde, ma vie a basculé. Dans un numéro de danse aérienne, mon partenaire m’a lâchée, j’ai chuté de quatre mètres. Je me suis retrouvée à l’hôpital avec deux barres en titane et six vis dans le dos. Après six mois d’hospitalisation et de longs mois de souffrances, je suis remontée sur scène. Mais je ne suis plus la même. Je suis devenue hypersensible, fragile. Moi qui étais dotée d’une grande souplesse, je ne peux plus jouer la carte de la performance. Mais j’ai acquis celles du plaisir et de la sincérité. Je danse avec mes émotions – la joie de pouvoir remonter sur scène, ma peur de ne pas être à la hauteur, ma féminité. Cette sensualité apparaît surtout lorsque je danse le flamenco ou les pin-up dans Divine Compagnie, une revue que j’ai cocréée après mon accident. Mon corps est libéré. Je vis et sens chaque geste. Même lorsque je suis simple interprète, je danse en finesse : une musique, un son, un mouvement vont me parler et m’inviter à leur donner une signification. Si j’ai autant de choses à dire, c’est à cause de mon accident et grâce à lui. Mon corps ? Je le préserve. Je ne danse plus en force, jusqu’à la douleur, comme je l’ai fait pendant des années. Je l’ai trop malmené depuis mon entrée au conservatoire, à 10 ans. J’ai grandi avec l’idée que je devais toujours pousser mon corps au-delà de ses limites… Jusqu’à mon accident. Il a fallu que je passe par là pour comprendre qu’il n’était pas une machine. Aujourd’hui, je vis de la danse, mais je me prépare à devenir comédienne. Je veux que cette décision d’arrêter soit la mienne et non celle de mon corps. »
         

Mon corps, mon ennemi ?

Mon corps, mon ennemi ?

Ressentir, se faire plaisir, c’est d’abord se mettre à l’écoute de son corps. Mais en sommes-nous encore capables ? À l’heure du bien-être et de l’hédonisme assumés, pourquoi notre sensualité semble-t-elle endormie ?
Courir. Cela faisait neuf mois que j’attendais de pouvoir rechausser mes baskets et m’échapper dans les bois, à la façon d’un chien fou dont on vient de décrocher la laisse. Sensation de liberté. Bonheur d’autant plus grand de reprendre possession de tous mes moyens physiques que, durant des mois, ce corps enceint n’a pas été que le mien et qu’il ne lui ressemblait même plus. Mais ça y est, j’y suis, enfin. Corps tout entier. Les jambes lourdes et les bras engourdis se réveillent lentement, les genoux chauffent sous l’effet du mouvement répétitif, les chevilles, raides, se détendent péniblement à chaque foulée, partout la chair vibre, le souffle se cherche en oscillant. Je redécouvre chaque muscle, chaque articulation, par les seules sensations… De douleur ou de plaisir ? Difficile à dire, les deux se mélangent sans distinction. Mais le bonheur est total : bonheur de se sentir « être » un corps. Psychomotricien, Éric Pireyre confirme : « Ressentir son corps en mouvement est, en soi, une source de plaisir. C’est la définition de la sensualité : le plaisir à activer sa sensorialité, c’est-à-dire le fonctionnement physiologique de son organisme. » Et, d’après lui, « ce plaisir tient au sentiment d’être “entier”, de prendre la mesure de soi dans sa globalité ».

Le "tombeau de l'âme"

Aurais-je pu confier un tel plaisir « global » et « sensuel » il y a, disons, cinquante ou cent ans, sans craindre d’être classée au rayon pornographique ? Pas sûr. Durant des siècles, le corps, « tombeau de l’âme » d’après Platon, a été dénigré, oublié, caché, les plaisirs ou les douleurs qu’il procure étant, comme le dit le philosophe grec, des « clous » qui nous rivent à lui et nous empêchent de penser. « Ce n’est pas un hasard si le plaisir sexuel a été appelé la petite mort, remarque la philosophe Chantal Jaquet, car il soustrait à la vie, la suspend, de sorte que le sujet s’anéantit momentanément en lui et ne pense plus à rien. » (in Les Liens corps esprit, Dunod, 2014). Sur fond d’une séparation triviale, mais généralement admise, entre corps et esprit, les plaisirs physiques sont soupçonnés de tirer vers le bas l’esprit, qui ne peut plus s’élever vers la connaissance. Et encore moins vers Dieu : la tradition judéo-chrétienne perpétuera ce rejet du corps et des sens, associés au péché et aux plus vils instincts.

Mais tout cela est de l’histoire ancienne ! Il suffit de constater comment les offres de massages en tout genre ont envahi les rues et les spas des hôtels pour prendre la mesure du renversement culturel : contre le stress ambiant, il est désormais une priorité que de savoir se « faire du bien ». Notre époque court après les plaisirs du corps, non seulement par hédonisme et du fait de la libération des mœurs, mais parce qu’elle admet enfin que cela lui réussit « globalement ». La banalisation du terme « psychosomatique » en rend compte : les interactions entre corps et esprit, notamment mises en avant en Occident par la psychanalyse, ne sont plus un secret pour personne. Et c’est ainsi que les pratiques orientales, qui ont, elles, toujours envisagé l’être dans cette globalité, nous séduisent tant aujourd’hui – le yoga, qui signifie « union », en est un exemple.

Un "objet à disposition"

Le message actuel est donc clair : prenez soin de votre corps, bichonnez-le. En un mot : jouissez ! Et vous éloignerez le spectre de la maladie et du stress. L’évolution est remarquable. Mais elle a ses travers. Car ce report d’attention sur le corps s’est déroulé sur fond de mode, de marketing, et qu’il a aussi rencontré notre narcissisme. Ainsi, après avoir été oublié et honteux pendant des siècles, le corps se retrouve, plus que soigné, sans cesse observé, pesé, mesuré, remodelé, cœur de nos préoccupations et de tant d’efforts. Deux conceptions opposées, mais qui constituent un même dénigrement, un même « adieu au corps », pour reprendre le beau titre du livre du sociologue David Le Breton. « Le corps est devenu, constate-t-il, un objet à disposition sur lequel agir afin de l’améliorer, une matière première où se dilue l’identité personnelle et non plus une racine identitaire de l’homme. »

Quand je lui annonce avoir repris la course à pied, mon médecin me dit comprendre : « Moi aussi, j’essaie de rester en forme et de retrouver la ligne, alors j’ai acheté un tapis de course. J’installe ma tablette devant moi, je regarde un film et j’essaie de tenir une demi-heure. C’est génial, je cours sans m’en rendre compte ! » Ce n’est pas faux : une étude scientifique (inThe Journal of Sports Medicine ans Physical Fitness, 2012) a démontré qu’écouter de la musique en pratiquant du sport bloque jusqu’à 70 % des sensations, ces informations physiologiques étant retenues par la diversion musicale avant d’atteindre le cerveau. Et l’on imagine que, lorsque à cette musique s’ajoute un film, la diversion doit frôler les 100 % ! Oui, mon médecin fait du sport sans que son corps s’en rende compte. D’ailleurs, celui-ci le lui rend bien : il est toujours aussi pesant et peu musclé !

Notre volonté de maîtrise

En l’entendant me décrire son expérience de coureur sur tapis, je mesure combien lui et moi ne parlons pas du même corps ni du même plaisir. Il y a le corps que l’on ressent, que l’on habite, qui nous enracine dans l’instant, porteur des marques de notre histoire et de nos origines, ce corps qui perçoit la chaleur, le froid, les odeurs, qui voit, qui apprécie, qui vomit, qui jouit, qui caresse… Bref, le « corps que l’on est ». Et puis, il y a le corps que l’on regarde dans un miroir, que l’on tatoue, que l’on pare, que l’on mesure, ce corps que l’on fait courir sur un tapis sans le ressentir dans le seul but de lui donner une certaine « forme » et une certaine « ligne ». En d’autres mots, le « corps que l’on a ». Ce corps-là aussi sait procurer ses plaisirs, bien sûr : quand le bip final de son tapis roulant retentit, mon médecin connaît celui d’avoir tenu bon. Fier de son courage, il est satisfait d’avoir surmonté la douleur et l’impatience. Quand il s’habillera, il constatera peut-être qu’il pourra resserrer sa ceinture d’un cran et il sourira de contentement. Ces plaisirs sont réels, puissants, motivants. Mais ce sont les plaisirs de l’ego, nés de la maîtrise du corps. C’est le « moi » qui se réjouit d’avoir su devenir, pour paraphraser Descartes, « maître et possesseur de la nature » que représente le corps. Ce plaisir-là repose sur le sentiment de toute-puissance de celui qui se croit au-dessus des lois du corps – donc inaccessible à la souffrance, à la maladie, à la mort.

Une histoire de peau

Je mentirais si je disais que, passé l’état de grâce des premières foulées en plein air, je n’avais pas, moi aussi, très envie que l’on aide mon cerveau à ne pas recevoir les douloureuses informations envoyées par mon corps ! Et si je niais que, bientôt, ma motivation pour chausser mes baskets serait moins souvent la joie de ressentir ma chair vibrer que la conviction de participer à la fonte des graisses superflues… Se focaliser toujours sur le « corps que l’on est », rester sensoriel et sensuel n’est pas une sinécure. D’abord parce qu’en recherchant le plaisir nul n’est jamais sûr de ne pas croiser son contraire, comme l’a constaté Socrate tandis qu’il se grattait la jambe en prison : « Quelle chose déconcertante ce que les hommes appellent l’agréable, et quel étonnant rapport sa nature entretient avec ce qu’on tient pour être son contraire, le pénible : […] si on poursuit l’un et qu’on l’attrape, on peut presque dire qu’on est aussi obligé d’attraper l’autre. » (in Phédon de Platon, Flammarion, GF, 1991)

Se remettre à l’écoute de son corps, c’est aussi prendre le risque de se confronter à ses failles, à ses carences, à sa finitude, dont sa matérialité est un rappel radical. Cela suppose également d’être prêt à réveiller des parts de soi plus ou moins consciemment passées sous silence : « Lorsque vous portez toute votre attention sur votre ressenti physique, vous ne pouvez pas prédire les émotions qui vont surgir, ni leur violence », explique Éric Pireyre. Notre histoire est écrite à fleur de peau ; certaines zones et certains sens ont été davantage investis que d’autres, plus ou moins positivement, depuis nos premiers contacts avec nos parents et avec le monde. Sans parler des complexes qui ont pu se greffer sur certaines parties de ce corps, alors détesté de ne pas être aussi beau, vif, mince et lisse que nous le souhaiterions dans nos rêves dopés à l’image parfaitement « photoshopée ».

La honte d'être humain

Enfin, revenir au corps, c’est se remettre à l’écoute de soi dans l’instant, quand, dans notre quotidien en accéléré et avide de technologies, tout tend à disperser notre attention. Notamment en nous offrant toujours plus de gadgets pour faire obstacle entre nous, notre peau, notre vue… Bref, entre nos sens et le monde. Combien, par exemple, savent encore apprécier un spectacle ou un paysage autrement qu’à travers l’écran d’un Smartphone ou d’une tablette ? Et ce n’est qu’un début. Dans le monde du posthumain qu’on nous promet, il ne sera plus nécessaire de se lever de son canapé pour vivre toutes sortes d’expériences. « Tout tourne autour de l’idée de dématérialisation, donc, croit-on, d’une spiritualisation », analyse le philosophe Jean-Michel Besnier, spécialiste des technologies de l’information et de la communication. Mais, selon lui, cette « idéologie posthumaniste provient plus du sentiment d’impuissance, de la dépression. […] Cette fatigue d’être soi, cette honte d’être humain me paraissent l’élément le plus intéressant. Il explique pourquoi, aujourd’hui, plus on déteste l’homme, plus on aime les machines, pourquoi on tente de prendre la fuite dans le goût pour les automatismes » (in Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies de Monique Atlan et Roger-Pol Droit, Flammarion, 2012). Ainsi, le nouveau rejet du corps serait non plus le fait d’une surpuissance accordée à l’esprit mais, au contraire, le symptôme de la profonde déprime de celui-ci. En d’autres mots : adieu Descartes, bonjour tristesse.

L'oublier pour exister

Heureusement, il nous reste l’autre. Comme le souligne Éric Pireyre, « le corps existe bien mieux à deux ». Caressé, effleuré, embrassé, notre corps oublie de se regarder et de se « penser » : il n’a plus qu’à se laisser percevoir et ressentir, en même temps qu’il perçoit et ressent l’autre corps. C’est l’expérience du « touchant-touché » décrite par le philosophe Maurice Merleau-Ponty : « Toucher c’est se toucher. » (InLe Visible et l’Invisible de Maurice Merleau-Ponty, Gallimard, 1979) Ainsi, caresser, sentir, aimer l’autre, c’est en même temps caresser, sentir, réapprivoiser son propre corps et l’aimer à nouveau. Pas de plus juste et de plus agréable retour au « corps que l’on est », sans doute, que dans la relation à l’autre. Non seulement via les sens, mais aussi par leur description : « Partager ses sensations, décrire à l’autre ce que l’on vit, par exemple en courant, permet de se ressentir encore plus, complète le psychomotricien, et d’être encore plus conscient de sa sensorialité. » Courir, oui, mille fois oui ! Mais plus jamais seule.

Psychanalyse : le corps, une création de l'esprit

Pour la psychanalyse, le corps ne se réduit pas seulement à sa réalité biologique, anatomique, celle que nous percevons, dont s'occupe la médecine : une tête, deux bras, deux jambes et quelques organes. Freud, en analysant ses premières patientes, des femmes dont les principaux symptômes étaient des somatisations sans cause médicale repérable, a compris que chaque personne possède une image fantasmée de son corps, capable d'agir sur sa matérialité. Notre corps est une création de notre esprit.
Nourrisson, nous nous vivons comme un prolongement du corps maternel. Durant les premiers mois de la vie, nous nous réduisons à une surface corporelle livrée à des pulsions, à une jouissance désordonnée. Pour reprendre une idée de Françoise Dolto, nous sommes un corps-sensation, morcelé, sans réelle unité.

Vers l’âge de 3 ans, le "stade du miroir" nous rend capables de penser "c'est moi" quand nous voyons notre reflet dans une glace. Nous devenons enfin une unité corps-esprit. Nous passons de la jouissance sans loi à des plaisirs plus policés. Le narcissisme, le plaisir d'être vu, de s'occuper de soi se mettent en place.
Mais la conscience de soi comme totalité corps-esprit exige l'intervention d'un autre - la mère ou un autre nourricier et aimant. Sans son regard, sans ses mots qui nous initient au "je" et au "tu", sans ses caresses qui délimitent les contours de notre enveloppe charnelle, impossible d'accéder au plaisir de vivre.

"Pas de cerveau, pas de plaisir"

Questions à Lionel Naccache, neurologue

Spinoza avait raison contre Descartes : corps et esprit se modèlent l’un l’autre. Et le plaisir, dans tout ça ? Explications de Lionel Naccache, auteur du Nouvel Inconscient et de Perdons-nous connaissance ? (Odile Jacob, 2009 et 2010)
Psychologies : Le plaisir, est-ce dans le corps ou dans le cerveau ?
Lionel Naccache : Il y a des régions cérébrales spécialisées dans le plaisir. C’est ce que l’on appelle le faisceau de la récompense, qui, sous l’effet d’une stimulation, libère de la dopamine. Donc : pas de cerveau, pas de plaisir !
Sauf que ce cerveau seul ne peut pas grand-chose…
L. N. : Effectivement : il lui faut être en interaction avec le corps pour activer ses circuits du plaisir – ou du déplaisir. Et, plus important, c’est dans les interactions du corps avec le monde extérieur, autrement dit dans les informations qu’il envoie régulièrement au cerveau, que naît notre propre perception du plaisir : ainsi, telle information sensorielle activera tel souvenir, donc procurera du plaisir pour l’un, quand elle laissera un autre de marbre. Certes nous naissons avec un cerveau programmé depuis des millions d’années pour coder le plaisir et le déplaisir sans que nous y puissions rien, mais, à l’échelle d’une vie, nos propres expériences ont le pouvoir de modeler ces sensations de plaisir ou de déplaisir pour leur donner une couleur qui n’appartient qu’à nous.
Le cerveau traite-t-il de la même façon toutes les sources de plaisir ?
L.N. : Dans le cerveau, on distingue deux mécanismes : bottom-up (du bas vers le haut) ettop-down (du haut vers le bas). Ainsi, on peut avoir un plaisir d’abord guidé par le ressenti corporel : une saveur, une caresse, une odeur perçue, etc. C’est le bottom-up. Mais le plaisir peut aussi venir du cerveau lui-même, car celui-ci est capable d’associer à des stimuli extérieurs – un paysage, une parole… – des souvenirs, des fantasmes agréables… Donc, de faire naître de la seule pensée une sensation de plaisir. Ainsi, notre plaisir peut venir aussi bien de notre perception que de notre imagination, et le même circuit cérébral est mis à contribution.
                                    

Tatouage, la nouvelle carte d'identité ?

Tatouage, la nouvelle carte d'identité ?

Peu importe notre âge, notre sexe ou notre couleur de peau, cet ornement exprime notre singularité à la face du monde.
Universel puisque nous le retrouvons dans toutes les cultures, le tatouage a toujours une visée esthétique, décorative. « Pourquoi ce dragon sur mon épaule ? Parce que je le trouve joli et que je me trouve plus beau grâce à lui », explique Philippe, 48 ans. Nous sommes tentés d’opposer le tatouage coup de tête, effet de mode des teen-agers, au tatouage des adultes, supposé fruit d’une réflexion mature. Cette opposition est-elle réellement pertinente ?

Dans l’inconscient collectif occidental, se faire tatouer est toujours un acte transgressif. Cette pratique a longtemps été dénoncée par l’Église. Et pour cause, la Bible l’interdit, comme elle proscrit toute altération définitive du corps – mutilation, scarification ou simple percement d’oreille pour le passage d’une boucle. Est-ce la raison pour laquelle, sous nos cieux, cette écriture corporelle a longtemps été réservée aux marginaux, mauvais garçons et prisonniers, ou encore aux marins vivant sur les flots au lieu d’habiter, comme nous, des maisons ? Comme le bijou et le maquillage, le tatouage appelle l’œil, mais il indique bien plus qu’un désir de séduire. Par son caractère indélébile, il marque notre volonté de prendre le contrôle de notre corps et du regard de l’autre. « Je me suis fait tatouer sur la cheville le mot “sérénité” dans une calligraphie arabe élégante, car c’est une partie du corps que je peux exposer ou dissimuler. Je choisis qui verra et qui ne verra pas », confie Violaine, 45 ans.
Dans les tribus africaines ou amérindiennes, le tatouage fait office de carte d’identité. Il distingue le « nous », la tribu, de ceux qui n’en font pas partie, les autres. C’est dire qu’il s’inscrit dans la chair, mais aussi dans les esprits. Dans la France d’aujourd’hui, se faire tatouer revient à dessiner un « je » qui se distinguera de tous les autres. Alors même que cette écriture du corps tend à régresser dans son usage ethnique, traditionnel, chez les Occidentaux, elle est de plus en plus pratiquée. Elle a pris son essor dans les années 1980-1990, qui ont aussi vu fleurir l’individualisme, le narcissisme, le « moi je ». Le tatouage contemporain traduit un sentiment intime, par exemple l’amour pour un autre avec des cœurs ou un prénom. Ou bien une valeur qui sert de repère, de ligne de conduite, comme l’aigle pour la liberté, le dragon pour la force, une phrase de sagesse… C’est « une mise en scène de soi », selon le sociologue David Le Breton, auteur de Signes d'identité, tatouages, piercings et autres marques corporelles (Métaillé, 2002). Et cela, à 20 ans comme à l’âge mûr.
                              

Et si les mannequins nous faisaient du bien ?

Et si les mannequins nous faisaient du bien ?

Trop maigres, trop grandes, trop jeunes, trop semblables… Les mannequins sont souvent accusées d’être les agents de la tyrannie du paraître. Et si, derrière les apparences, ces « aliens » des podiums nous réconfortaient au plus profond de nous-mêmes ?
Elles arrivent à l’automne, avec les premières pluies, les premières brumes, pour défiler en longues processions fantomatiques sur les podiums. Que l’on jette sur cette liturgie des temps modernes un regard distrait, agacé ou fasciné, ces silhouettes somptueusement drapées ou dévêtues ne laissent personne indifférent. Et surtout pas la vox populi, qui dénonce, depuis quelques années, l’excès d’une ascèse esthétique qui ferait l’éloge de la maigreur et de l’androgynie, et qui serait préjudiciable aux jeunes filles en quête de repères identitaires. Et si, en réalité, les mannequins nous faisaient aussi du bien ?
Dans son dernier essai, la philosophe Véronique Bergen, auteure du Corps Glorieux de la top-modèle (Nouvelles Editions Lignes, 2013), évoque le double rapport au temps et à l’éternité de la mode. « Quand le vêtement marque l’époque, donne le la d’une collection couvrant une durée éphémère bien circonscrite, le mannequin décline dans sa chair nue le mythe de l’éternité […]. Sur les podiums lors des défilés, les corps qui “officient” le rituel de la haute couture et du prêt-à-porter n’existent qu’à être “hiératisés”, idéalisés. »

Une exigence inhumaine

Pour figurer l’« intouchabilité », signe manifeste de l’idée de beauté et d’éternité conjuguées, ils doivent apparaître vierges des marques du temps et de leur « organicité » (des corps sans organes), pour reprendre l’expression de Deleuze et Guattari, auteurs, entre autres deQu'est-ce que la philosophie ? (Les Editions de minuit, 2005). « C’est un corps qui est au-delà du corps, détaille Jean-Michel Hirt, psychanalyste. Un corps qui semble échapper aux contraintes de la matière. Ce corps des mannequins appartient d’une certaine façon aux dieux des Grecs ou des Égyptiens, dont la pureté et la beauté des formes ont traversé le temps. C’est en cela qu’il nous fascine et que, paradoxalement, il nous rassure, parce qu’il est porteur d’éternité. » À l’instar des demi-dieux de l’Olympe, fruits d’une union avec les humains, ces silhouettes évoluent dans notre monde, mais sur un plan qui reste inaccessible aux mortels : l’Olympe pour les unes, le podium pour les autres.

Des corps sans "excès de matière"

Agnès, 36 ans, professeure de lettres, ne manque aucun défilé. « Sur le Net, je me fais des cures de beauté, c’est vraiment du rêve, de l’art, au même titre que la musique, la peinture ou le théâtre. Est-ce que ce spectacle serait aussi beau avec des femmes ordinaires ? Évidemment que non, et, contrairement à ce que beaucoup prétendent, personne n’en voudrait, elles ne sont pas là pour être notre miroir, mais pour incarner l’extraordinaire, au sens étymologique du terme. »
Pour Carole Sédillot, pédagogue jungienne, auteure de Jeu et enjeu de la psyché (Dervy, 2011) « le mannequin de haute couture incarne le désir de se relier véritablement à l’archétype de la beauté, qui est une puissante aspiration en chacun de nous. Et, pour satisfaire ce désir, il doit obéir à des critères d’une exigence inhumaine ». Une exigence esthétique qui, pour Véronique Bergen, est toujours le fruit d’une « codification précise soumise aux canons esthétiques du moment ». En 2013, les « filles », puisque c’est ainsi que les nomme la profession, sont très jeunes, très slaves, très maigres et possèdent toutes la même apparence. Démultipliées sur les podiums, elles perdent leur statut de femmes pour incarner un concept. Dans notre société d’abondance et de malbouffe, il n’est pas étonnant que ce soit le corps débarrassé des excès de la matière, dont on connaît les fâcheuses conséquences sur la santé, qui triomphe.

Un désir inconscient de spiritualité

Santé et beauté comme vecteurs de l’éternité, l’idée n’est pas nouvelle, elle est, pour filer la métaphore de Jean-Michel Hirt, une résurgence de la Grèce antique et de Rome, deux cultures qui ont façonné la nôtre et dans lesquelles l’exaltation du corps beau car en bonne santé,mens sana in corpore sano ("Un esprit sain dans un corps sain"), était centrale. Ce corps porte en lui la promesse de triompher de la maladie, de la vieillesse et, in fine, de la mort. Une promesse à laquelle notre inconscient collectif aspire et que notre culture ne relaie plus. Pour le psychanalyste, il est évident que la fascination du spectacle de la haute couture va de pair avec le vide laissé par le religieux.
Véronique Bergen établit d’ailleurs une corrélation entre les mannequins et les anges, tous jeunes, androgynes et partageant quatre propriétés : « L’ascétisme alimentaire, le mutisme, l’aura et l’aspect éthéré, lumineux de leur corps. » Ainsi, les mannequins seraient « envoyés d’un dieu, le dieu de la Beauté, et passeurs entre l’ici et l’ailleurs, entre les vivants et les morts, la terre et le ciel ». La philosophe fait aussi se rencontrer les saintes et les mannequins, réunies par une double privation, celle de la nourriture et celle des mots. Mais si les premières se sacrifient pour tendre vers une union mystique avec le divin, les secondes ne cherchent qu’à provoquer la convergence des regards humains sur leur « corps glorieux » et sur la magnificence des vêtements qui les parent. « La dématérialisation de leur corps ne sert qu’à retourner à la matière, explique Carole Sédillot, car, contrairement aux saintes et aux figures spirituelles, qui sont des traits d’union entre l’esprit et la matière, du mannequin, seul le vêtement, l’enveloppe, reste et marque les esprits. 
Pour la pédagogue jungienne, les silhouettes-anges font frémir notre fibre numineuse (notre pressentiment qu’il existe un plus grand que l’humain) sans pour autant la combler tout à fait puisque nous savons qu’elles sont humaines. Telle n’est pas l’intention première de la mode, qui joue inconsciemment avec les codes du sacré et du religieux sans chercher à donner du sens à l’existence. « Ce n’est pas pour autant qu’il faut minimiser cette démarche, souligne Carole Sédillot, car l’expérience du beau, philosophiquement et spirituellement, peut élever l’âme. » C’est ainsi qu’Emmanuelle, 42 ans, comptable, la vit. « Posés sur ces corps particuliers, les vêtements ne sont plus des objets de consommation, ils sont inaccessibles à la majorité des gens et deviennent, pour beaucoup, des œuvres d’art. Je les regarde avec le même œil que celui que je pose sur un Titien ou un Velasquez, j’embrasse une époque, un art qui me donnent accès à quelque chose de plus grand que moi. »
Si la grand-messe de la mode, avec ses officiantes que sont les mannequins, traduit en creux, et à son insu, un certain besoin de spiritualité, elle comble également en nous, selon Jean-Michel Hirt, l’enfant qui a besoin de merveilleux et qui trouve momentanément dans les contes de fées un apaisement à des angoisses et à des questions existentielles qui resteront sans réponses.
                                   

Ce que le tatouage dit de nous


Qu’il soit discret ou qu’il couvre toute une partie du corps, symbolique ou purement esthétique, tout tatouage a une histoire. Marquer sa peau à l’encre indélébile est un acte fort, une façon de prendre le contrôle d’un corps qui nous échappe, ou de graver à jamais un souvenir, une joie, une douleur.
Si le tatouage était, à l’origine des temps, une façon de marquer son appartenance à un clan, puis plus tard, à un groupe social (marin, soldat, motard, gangster), on le croise aujourd’hui sur toutes les peaux. Femme ou homme, jeune ou vieux, riche ou pauvre : le tatouage est « encré » dans les moeurs. En France, une personne sur dix serait tatouée, même si, comme le souligne la psychosociologue Marie Cipriani-Crauste, « le tatouage est encore trop souvent mal perçu par la société ». Apanage des bad boy, le tatouage ? Pas seulement. « Il est beaucoup plus répandu que vous ne pouvez l’imaginer. Seulement, nombreux sont ceux qui les cachent, car le tatouage touche à quelque chose d’intime ».

Conjurer l’angoisse de sa propre disparition

Le tatouage, malgré les gros titres des magazines féminins, n’a rien d’un « effet de mode ». « Il existe depuis la nuit des temps ! » rappelle Marie Cipriani-Crauste. « C’est une marque ancestrale, qui traduit l’angoisse principale de l’homme : sa propre disparition, et donc, son obsession à laisser des traces, y compris sur son propre corps. Cette obsession est d’ailleurs ce qui nous différencie des animaux. L’homme a besoin de repère, et le tatouage en est un ».
Le tatouage a-t-il donc toujours un sens ? Pour la psychosociologue, c’est une évidence. « Même lorsqu’une jeune fille se fait tatouer une petite fleur "parce qu’elle la trouvait jolie", elle manifeste un message plus profond qu'un simple choix esthétique. Un tatouage n’est pas un bijou. C’est une marque à vie, et ce n’est jamais anodin ».

Nina « Transformer une douleur morale en douleur physique


J’ai commencé à m'intéresser aux tatouages et aux piercings à l'âge de 18 ans. Mon second tatouage (j'en ai aujourd'hui quatre, et je ne compte pas m’arrêter là !), est celui pour lequel j'ai le plus d'attachement. Mon père est décédé en 2008 d'un accident de la circulation. Cela a été un déchirement, une peine insoutenable. Nous étions une famille unie, aimante, et mon père un homme bon, juste, fédérateur. Je pensais souvent à une phrase qui me réconfortait, qui me permettait de ne pas sombrer. J'ai souhaité me faire tatouer rapidement, donc j’ai pris rendez-vous deux mois après sa mort.
La séance a duré longtemps, près de trois heures. L'endroit choisi, le plus discret possible, s'est révélé être l'un des plus douloureux à être encré. Et pourtant, ça a été une brève, mais vraie thérapie. Transposer une profonde peine, une douleur morale en douleur physique a été un soulagement, une manière de me lier intimement et éternellement à mon père. Je me suis imaginée vieillir avec ce tatouage. Je me voyais âgée, fripée, en face de mon miroir à regarder cette phrase qui me ramènera toujours au moment où j'ai perdu cet être cher, et où ma vie a basculé. Cette fois où j'ai eu 20 ans sans lui.
L’avis de Marie Cipriani-Crauste : Pour Nina, le tatouage est une forme de conjuration de la mort. C’est un acte très réfléchi. Après la disparition de son père, il lui faut agir. Elle a besoin de se marquer pour avoir confiance à nouveau et croire en la vie.

Tevaiarii : « un tatouage qui porte mon histoire »



Je suis de Tahiti, avec des origines marquisiennes. De part mes origines, j’ai donc naturellement toujours eu une attirance pour les tatouages. J'ai moi-même dessiné le motif général de mon tatouage, puis j'ai choisi un ami pour le réaliser, car j’admirais son travail. Je voulais quelqu'un qui me connaisse, qui connaisse mon histoire.
Je n’avais pas envie de tatouage "à la mode". Il fallait que ce soit un motif unique, que mon ami dessinerait au feeling à partir de ma base. Je savais que les motifs sortiraient d'eux mêmes. Plus tard, certaines personnes y ont vu une fougère. J’ai trouvé que l’image de cette plante me correspondait : "Elle se laisse balancer par le vent tout en gardant fermement ses racines en terre". La fougère pousse principalement en montagne et près des rivières, où j’aime me promener. Je m'y sens vraiment chez moi. Si ça ne tenait qu'à moi, je continuerais mon tatouage tout le long de la jambe, comme pour "encrer les racines", mais mon mari ne le veut pas. Mais ce témoignage a réveillé en moi la volonté de le continuer, je ressens comme un picotement dans la jambe, comme si elle appelait à être tatouée…
L’avis de Marie Cipriani-Crauste : Il y a dans cette histoire, comme pour de nombreux tatouages, un problème d’identité, un besoin de retour à ses origines. Comme la plante à laquelle elle s’identifie, Tevaiarii a besoin de montrer ses « racines », son héritage.

Rosanna « C’est une partie de ma vie, de ma personnalité »


J'ai toujours voulu me faire tatouer mais j'ai longtemps attendu, de peur que ce ne soit qu'une idée de passage et de me faire un motif qui finirait par me lasser. Mais pour mes 20 ans, j'ai sauté le pas, et mes proches se sont cotisés pour me l'offrir. Il fallait tout d'abord finaliser l'idée du motif que j'avais déjà en tête. Ayant perdu mon père très jeune, j'ai décidé de lui rendre un petit hommage discret. Mais je ne voulais pas que ce tatouage soit uniquement dédié à mon père disparu. Je voulais aussi rendre hommage à ma mère, qui a beaucoup enduré pour ses deux filles, et qui est toujours restée très forte face aux épreuves de la vie.
La fée représente à la fois ma mère et moi, dans notre quête de rendre notre monde un peu plus beau, plus « féérique ». J’y ai ajouté le "M" légèrement calligraphié qui représente l'initiale de "maman" et de "Manuel" le prénom de mon père. C'est une façon de l'avoir toujours près de moi. Je ne voulais pas entrer dans le premier salon de tatouage venu. Je ne voulais pas que cela soit fait à la va-vite.
J'ai fini par trouver le petit salon d'une tatoueuse très vintage, aux murs rose et aux canapés confortables avec photos des pièces qu'elle avait déjà réalisées. Il a fallu plusieurs séances, dont une première de 2h30 pour le réaliser. Évidemment, j’ai eu mal au début, mais ça en valait vraiment le coup. Je suis très heureuse du travail de la tatoueuse et je suis sûre que c'est un motif qui ne me lassera pas car c'est une partie de ma vie, de ma personnalité.
L’avis de Marie Cipriani-Crauste : La famille de Rosanna s’est cotisée pour ce tatouage. Elle est donc dans un milieu favorable à cette pratique. Elle idéalise le rôle de sa mère, tout en rendant hommage à son père.

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