Régime et Bios

Gérard Apfeldorfer : « La minceur doit être une étape, pas la ligne d’arrivée »

Plus grande fragilité émotionnelle, difficultés à « habiter » un nouveau corps… Gérard Apfeldorfer, psychiatre et psychothérapeute, explique pourquoi les jours qui suivent la perte de poids est une période particulièrement délicate. Dans sa ligne de mire, les régimes qui font croire à un « après » qui se révèlera forcément déceptif.

Plus grande fragilité émotionnelle, difficultés à « habiter » un nouveau corps… Gérard Apfeldorfer, psychiatre et psychothérapeute, explique pourquoi les jours qui suivent la perte de poids est une période particulièrement délicate. Dans sa ligne de mire, les régimes qui font croire à un « après » qui se révèlera forcément déceptif.
Comment expliquer qu’un amincissement pourtant ardemment désiré aboutisse à un réel sentiment de malaise chez certaines personnes ?
Manger est pour certains un mécanisme de défense qu’ils utilisent pour se protéger de leurs propres émotions. En général, ce sont des personnes qui connaissent des difficultés à les gérer et qui ont tendance à manger de manière compulsive. Une fois minces, elles ne peuvent tout simplement plus faire appel à ce mécanisme de protection et ressentent alors bien plus intensément leurs émotions. D’où une sensation d’inconfort et d’anxiété accrue.
Le regard des autres, notamment du sexe opposé, peut-il aussi amplifier ce malaise ?
Le surpoids peut être en lui-même un mécanisme de défense contre la séduction. C’est notamment le cas lorsqu’il a débuté dans le jeune âge et que les personnes concernées n’ont jamais appris la séduction. Non pas parce qu’elles ne pouvaient pas séduire, mais parce qu’elles s’en sont toujours exclues. Avec l’amincissement, le bouclier disparaît et elles se sentent d’autant plus nues que, bien souvent, le processus de séduction se met en route malgré elles. Elles commencent par s’habiller différemment, à se comporter différemment et très vite, elles paniquent face aux regards des autres. Souvent d’ailleurs, elles s’indignent contre ce changement de comportement et n’hésitent pas à s’insurger en clamant des « c’est un scandale, je veux être aimée pour moi-même, pas pour mon corps ».
N’y a-t-il pas également un risque à attendre trop d’un amincissement, notamment un mieux-être qui dépasserait la simple perte de poids ?
Nombreux sont ceux qui pensent en effet que leur perte de poids va aboutir à une réelle transformation, un peu comme la chenille se transforme soudain en papillon. Que maigrir va résoudre tous leurs problèmes : le désamour de soi, les soucis professionnels ou d’argent. C’est d’ailleurs souvent ce qui nous est présenté, avec des discours du type : « maigrissons donc et tout s’arrangera ! ». Mais maigrir ne change pas une personne. La déception est donc forcément à l’arrivée.

Anxiété, inconfort, déception : la reprise de poids semble difficile évitable…

Deux phénomènes concourent à précipiter la reprise de poids. Le premier réside dans le fait que l’on n’assimile pas immédiatement les modifications corporelles. Ce qui explique que même une fois mince, l’on puisse se voir toujours gros. À cela s’ajoute dans le cas de personnes ayant suivi un régime, la fragilité due au fait que les appétits alimentaires se réveillent très vite après coup. Elles sont alors exposées à une tentation d’autant plus intense qu’elles n’assument pas encore leur situation de minceur. Il y a là tous les ingrédients pour qu’elles se sentent déçues et perdues. « Qu’est-ce que je vais faire de cette minceur maintenant ? » peuvent-elles se demander… Les voilà confrontées au blues de la personne qui a atteint son objectif et qui n’avait rien vu, rien prévu pour l’après.
Comment faire alors pour que l’amincissement ne conduise tout droit à la désillusion ?
Quand on se fixe un objectif dans la vie, il existe toujours le risque de l’atteindre ! Alors pour éviter toute déception, mieux vaut fonctionner en fonction de valeurs plutôt que d’objectifs. La minceur ne doit pas être un but en soi. Le piège est de la voir comme la ligne d’arrivée alors qu’elle n’est qu’une étape sur le chemin.
Que peut-on entreprendre pour apprivoiser ce corps plus mince ?
Le secret, c’est de bouger, autant pendant l’amincissement qu’après. L’exercice physique est indispensable pour être bien dans son corps et dans sa tête car plus notre corps est immobile, plus il nous semble abstrait. C’est le mouvement qui nous fait prendre conscience de sa réalité. C’est lui aussi qui nous permettra d’habiter notre nouveau corps et d’en prendre réellement possession.

De manière générale, est-il possible d’éviter ce « blues » et la reprise de poids qui lui semble intrinsèquement liée ?

Tout est une question de rythme : plus l’amaigrissement est rapide, plus on sera exposé à une transformation brutale, psychologique comme émotionnelle, à laquelle nous n’aurons pas été préparés. Plus on se sentira dépassé par les résultats. Voilà pourquoi les régimes rapides sont à proscrire.
En revanche, si mincir est l’aboutissement d’un processus de travail sur soi-même, si l’on est à l’écoute de ses sensations alimentaires, si l’on travaille sur ses émotions pour apprendre à mieux les vivre, on va perdre du poids progressivement, tout en intégrant les changements et en se préparant déjà à « l’après ».

La cuisine sans gluten, une cuisine inventive

Hors du gluten, point de salut… culinaire ? Pas si sûr. Voyons le bon côté des choses : être intolérant au gluten est l’occasion de voir ce qui se passe ailleurs, sans le gluten… et le champ des possibles est grand. Crêpes à la farine de châtaigne, pain à la farine de seigle et d’épeautre, pâte à choux à la farine de riz… Intolérants ou non, inspirons-nous de cette cuisine alternative pour sortir du tout blé.

Cuisiner sans gluten, c’est renouer avec une cuisine « qui fait appel à toutes les ressources, telles, finalement, qu’elles se situaient avant le début de l’agriculture », ne manque pas de rappeler le Pr Christophe Dupont , en introduction de l’ouvrage 130 recettes sans gluten(Marabout, 2007).
La cuisine sans gluten, une cuisine originelle ? Une cuisine fait maison c’est certain, concoctée à base d’ingrédients choisis avec soin. Des ingrédients souvent estampillés bio d’ailleurs, car depuis toujours, les agriculteurs biologiques voient plus loin que le blé, dont la culture intensive est loin d’être un modèle écologiquement correct.

Mille et une farines

A la base de notre tradition culinaire, la farine de blé paraît incontournable. C’est oublier les multiples autres farines qui certes, ne présentent pas la même densité et élasticité que celle de blé, mais ont l’avantage d’apporter une large palette de saveurs. Utilisées seules ou combinées (à deux, trois, voire quatre), elles permettent une multitude de combinaisons, à choisir en fonction de la garniture – qui sera alors subtilement mise en valeur. Quelques pistes pour s’initier.
la farine de riz : délicatement sucrée et de texture légèrement granuleuse, c’est l’alternative de base à la farine de froment. Elle existe en version blanche ou complète. A utiliser seule, ou en association avec d’autres farines pour plus de saveurs.
la fécule de pomme de terre : elle vient remplacer aisément la farine de blé dans les sauces et gâteaux utilisant peu de farine ; elle donne moelleux au gâteau et liant aux sauces et crèmes. Diminuer un peu les proportions par rapport à la farine de blé.
la farine de sarrasin : on la connaît pour les galettes bretonnes, mais elle peut aussi entrer dans les préparations sucrées, en petite proportion, de préférence mélangée à la farine de riz ou de la fécule de pomme de terre, qui viennent l’alléger. Sa saveur rustique vient délicatement rehausser la douceur du chocolat ou du miel, et s’accorde particulièrement bien avec les fruits secs ou les fruits d’automne
la farine de châtaigne : produit traditionnel Corse, la farine de châtaigne est à la base de nombreuses spécialités culinaires de l’ile. Elle est également incontournable dans la cuisine sans gluten. A utiliser de préférence en association avec une farine plus neutre, comme la farine de riz ou la fécule de pomme de terre. Elle apporte une note sucrée à une pâte à crêpe, une pâte sablée ou brisée. Idéale également pour les cakes aux fruits secs (noix, amandes) avec une touche de miel, ou à l’orange ; délicieuse dans les crumbles (pomme-canelle).
la farine de manioc, ou foufou : inconnue en France, elle est couramment utilisée au Cameroun et au Congo. Elle s’utilise en petite quantité en complément d’autres farines (de riz notamment), pour apporter du moelleux aux préparations telles que crêpe, gaufre, brioche, muffin.
A tester également : la farine de soja, la farine de quinoa, la farine de pois chiche, la farine de millet, la farine de lentille, la farine de teff, la farine de guar
Une partie de la farine (choisie neutre, comme la farine de riz ou la fécule de pomme de terre) peut également être remplacée par de la poudre d’amande ou de la poudre de noisette. Dans une pâte sablée, des macarons, un cake.

La revanche des céréales anciennes

Les pâtes et la semoule étant à base de blé, elles sont interdites dans le cadre du régime sans gluten. Restent, pour donner du corps à un plat, la pomme de terre, le riz (blanc, semi-complet, complet), les légumineuses (lentilles, pois chiches, haricots rouges…), mais aussi toutes ces céréales et pseudo-céréales anciennes ou venues d’autres latitudes, remises à l’honneur par le circuit bio. On y gagne sur le plan gustatif et nutritionnel, car ces produits sont bien souvent plus complets que le blé. Petite sélection.
- le quinoa : il remplace la semoule de blé dans le couscous ou le taboulé, donne du corps à des galettes ou un gratin de légumes. Bien le rincer à l’eau claire pour ôter la saponine, un insecticide naturel qui donne son amertume au quinoa. Mettre dans une casserole avec 2 fois son volume d'eau. Porter à ébullition, saler, réduire le feu, couvrir et faire cuire à feu doux pendant une quinzaine de minutes.
l’amarante : à l’instar du quinoa, cette pseudo-céréale est originaire d’Amérique du Sud. Son goût légèrement épicé et sa texture un peu gélatineuse mais fondante en font un bon accompagnement de légumes, en gratin ou risotto par exemple. Ses graines, préalablement rincées, se cuisent dans un grand volume d’eau, une quarantaine de minutes.
le millet : ses toutes petites graines sont particulièrement riches en vitamine A. A cuire une vingtaine de minutes dans 2,5 volumes d’eau (ou de bouillon de légumes). En accompagnement ; original sous forme de poêlée avec des légumes sautés, rehaussés de quelques graines de sésame grillé.
le sarrasin : surnommé à tort « blé noir », il est donc exempt de gluten. Il est riche en protéines, et présente un subtil goût de noisette. En graines entières : rincer les grains, puis les cuire une vingtaine de minutes dans deux fois le volume d’eau bouillante. Plus goûteux est le kasha (les grains sont concassés, puis grillés), incontournable dans la cuisine slave. A cuire une dizaine de minutes dans un volume et demi d’eau. Le sarrasin existe également en boulghour (les grains sont concassés).

Pourquoi on aime tant les régimes

Ils sont voués à l’échec, pourtant nous continuons à nous y soumettre. Sur quels ressorts psychiques notre appétence pour la diète s’enracine-t-elle et quels bénéfices secondaires en tirons-nous ?
Isabelle, 45 ans, se met régulièrement au régime. « Avant Noël, après les fêtes, au printemps, avant l’été, détaille- t-elle, le temps d’atteindre mon objectif, qui varie selon les périodes. À la fin de l’année, c’est pour anticiper les excès à venir ; en janvier, pour perdre ce que j’ai pris. Au début du printemps, pour mieux entrer dans mes nouveaux vêtements ; avant l’été, pour assumer l’épreuve du maillot. » Privations, méfiance, mauvaise humeur, ajoutées à une convivialité mise entre parenthèses : Isabelle ne se restreint pas par plaisir, mais bien pour maigrir. A priori. Car, au-delà de la perte de poids, les régimes masquent de nombreux plaisirs insoupçonnés, tellement puissants qu’ils balaient la réalité selon laquelle ils sont à 95 % voués à l’échec dans les cinq ans. Isabelle n’échappe pas à la règle. Elle a maigri, puis regrossi. Pourtant, elle va s’y remettre, parce qu’abandonner la formule qui n’a pas marché et recommencer avec une autre est une façon d’entretenir l’illusion que le miracle peut avoir lieu.

Les joies de la contrainte

Se mettre au régime, c’est obéir, suivre à la lettre des prescriptions qui disent le licite et l’interdit. Une bénédiction pour celle qui craint de ne pas savoir se maîtriser et cherche à s’appuyer sur l’extérieur. « Quand on manque de confiance en soi, il paraît plus sûr de s’en remettre à “quelqu’un”, médecin, coach, nutritionniste, voire auteur de livre, à qui l’on attribue une compétence », remarque la psychanalyste Catherine Grangeard, coauteure du Poids du corps à l'adolescence (Albin Michel, 2014). D’où les ventes phénoménales en librairies des méthodes qui nous expliquent à longueur de pages ce qu’il convient de manger, de proscrire, les associations à éviter, les heures auxquelles manger certains aliments, etc. Et qu’importe si les thèses se succèdent et se contredisent : plus c’est contraignant, mieux c’est. Pour preuve, le succès du récent régime sans gluten, véritable casse-tête alimentaire consistant à éviter toute nourriture qui en contient. Destiné aux personnes atteintes de la maladie cœliaque (intolérance au gluten), il fait le « bonheur » de tous ceux qui s’épanouissent dans la contrainte.

Finalement, restreindre ses libertés est rassurant. Dans une société d’abondance et d’hyperchoix comme la nôtre, le « sans » permet dans une certaine mesure de limiter les possibles, donc les angoisses. Sans oublier que plus la diète est sévère, difficile à supporter, plus elle fait office de garde-fou, de rambarde de sécurité. La culpabilité inconsciente y trouve de quoi s’alléger. « On renoue également avec le plaisir de la régression », note Catherine Grangeard, qui voit dans notre docilité à suivre les règles un retour à une époque révolue où l’autre – la mère, la grand-mère, la cantine – décidait pour nous de ce qu’il y avait à manger et en quelle quantité.

Un sentiment de toute-puissance

Impossible de comprendre notre goût pour le régime sans évoquer le sentiment de toute-puissance qu’il procure. Alors que nous n’avons aucun pouvoir sur notre taille, sur la couleur de nos yeux, sur la nature de nos cheveux, il donne l’impression d’en avoir sur notre poids, donc sur notre corps. « Je n’ai jamais réussi à mincir autrement, confie Claire, 38 ans. J’ai essayé le sport, les crèmes, les cures détox en tout genre, mais ça n’a rien donné. À chaque kilo perdu, j’ai le sentiment de réussir quelque chose de fort. Les autres me complimentent, je suis fière de moi. »
Il ne faut pas sous-estimer la « renarcissisation » qui s’opère pendant la perte de poids. Aussi importante, si ce n’est plus, que les résultats obtenus. Pour le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, « le bonheur est dans le début des régimes, dans le plaisir du commencement, dans la promesse, qui fait autant rêver que le résultat ». Claire a-t-elle regrossi après ? Oui, avoue-t-elle sur le ton de celle qui a raté son régime. Mais ce qu’elle a éprouvé pendant cette période n’a pas de prix. Ou, plus exactement, elle est prête à en accepter le prix, tout en espérant au fond que le prochain sera le bon.
Maigrir crée l’illusion de pouvoir combattre l’injustice de la génétique, de rétablir la donne. C’est ce qui anime Leïla, fine trentenaire d’origine marocaine. « Dans ma famille, les femmes sont très rondes et assez éloignées du modèle Claudia Schiffer, raconte-t-elle avec humour. Je fais très attention à ce que je mange pour ne pas finir comme elles. » Leïla ne cherche pas à maigrir mais bien à ne pas grossir. Une façon pour elle d’échapper à son destin, à son identité familiale. Cette jouissance- là – penser que l’on fait de son corps ce que l’on veut – vaut bien plus que tous les conseils et mises en garde.

L'euphorie de la perte

Ce qui déclenche l’envie de se mettre à la diète, c’est avant tout la promesse d’une meilleure image de soi, le fantasme de posséder enfin le corps qui correspondrait à notre vrai moi. Il y a une véritable euphorie à perdre quand d’autres s’obstinent à posséder, à accumuler. Nous en sommes certaines, délestées de quelques kilos, nous serons plus efficaces, plus audacieuses et, bien sûr, plus séduisantes. Un jour, mes rondeurs fondront, et, ce jour-là, le prince charmant viendra. Car, ne nous trompons pas, derrière le désir d’un corps plus mince se tient toujours une demande d’amour. Nous avons beau constater qu’un régime est rarement à la hauteur de nos phénoménaux et irréalistes espoirs, nous nous y remettons. Une partie de nous – notre moi rationnel, celui qui a déjà fait l’expérience de l’échec – sait qu’un corps de rêve ne se gagne pas dans une assiette vide. Mais l’adolescente en nous, celle qui a placé tant d’espoirs existentiels dans la diète, refuse d’y renoncer.
Et même, au cas où nous serions bien dans notre peau et dans notre poids, les images publicitaires dont nous sommes bombardées sont là pour nous rappeler sans cesse l’idéal à atteindre, le corps à posséder. Et les émissions de télé-réalité regorgent de personnes qui ont réussi, elles. « Ne pas vendre un piano, mais vendre l’envie du piano », répétait Edward Bernays, le père du marketing, qui ne manquait jamais de rappeler qu’il était le neveu de… Sigmund Freud. Il faut dire que le désir d’approcher son moi véritable constitue un marché porteur, largement partagé au printemps. Juste avant la grande exposition du corps au soleil et aux regards. Alors, devant sa télé, en feuilletant un magazine, chez le libraire, à la pharmacie, au supermarché, on se dit : pourquoi pas moi ? Paradoxalement, une fois que l’on y sera – en été –, on n’y pensera plus. Tant d’efforts, de contraintes, de règles à suivre en vue d’un moment qui, in fine, sera celui de la détente, du lâcher-prise, du plaisir d’être ensemble et de l’indulgence. À méditer avant de s’affamer !

Le top des aliments crus

Sans être virtuose des fourneaux, il est possible avec le cru de mettre les petits plats dans les grands.

Aliments par aliments, voici quelques astuces et conseils pour cultiver l’art du frais.

Les légumes
Ils peuvent se manger finement râpés, en julienne, finement tranchés en carpaccio ou coupés en fleurette. Pensez également aux soupes froides et aux jus. A tester crus : les betteraves, les courgettes, les artichauts poivrade, le chou chinois, le fenouil et même les jeunes fèves, à déguster à la croque au sel, comme les radis.
La viande
De préférence maigre et bio, elle peut être consommée en tartare (hachée finement à la dernière minute, et accompagnée, selon les goûts, de câpres, d’oignons blancs, de tabasco, d’herbes fraîches, d’un jaune d’œuf et, pourquoi pas, de graines germées) ou en carpaccio (très fines tranches de bœuf arrosées d’huile d’olive et agrémentées de parmesan). A éviter : la viande de porc crue (en raison du risque de trichinose, une parasitose potentiellement dangereuse) et la viande de poulet (risque de transmission du virus de la grippe aviaire et de salmonelles).

Poissons et fruits

Les poissons 
Ils sont délicieux préparés en sashimi, carpaccio ou tartare. Privilégiez les poissons gras de haute mer, d’une fraîcheur irréprochable. Riches en oméga-3, mais aussi sensibles à la chaleur, ce type de préparation leur convient parfaitement. On leur associe des condiments bactéricides, comme le jus de citron, l’ail, le tamari (sauce de soja fermenté, plus doux que le shoyu), le piment… à l’instar des Japonais, qui accompagnent systématiquement leur poisson cru de wasabi.
Les fruits
Ils se préparent en crème, mousse, salade, smoothies, avec des sucres naturels de préférence, comme les fruits secs, le miel, le sirop d’érable, le sirop d’agave…

L'avocat et le citron, les deux amis du cru

Le premier remplace la crème, dans de nombreuses préparations qu’il rend onctueuses (d’où son surnom de « vache végétale »). Le second assaisonne et assainit judicieusement les préparations de légumes et de poissons.

Les céréales

Elles doivent impérativement avoir germé, sinon elles sont indigestes. Faites-les tremper 12 heures, puis rincez-les 1 à 2 fois par jour pendant 2 à 3 jours. La germination accroît tellement leur densité nutritionnelle que vous devez vous limiter à 1 ou 2 cuillères à soupe par repas. Associées à des légumes, elles constituent un repas parfaitement équilibré. Après germination, vous pouvez également les assouplir quelques minutes à la vapeur.
Et le pain ? 
Aliment de base de notre alimentation, difficile de s'en passer ! Vous avez envie de faire une vraie cure de cru pendant deux à trois jours ? Essayez le pain Essenien. Sorte de galette de céréales germées (épeautre, seigle, kamut) séchée à 40 °C à l’aide d’un déshydratateur, ce pain est riche en micro-nutriments, en particulier en vitamine E, dont nous sommes presque tous carencés. Il est en outre très digeste. On peut le faire soi-même ou l’acheter dans les boutiques diététiques.

Manger en pleine conscience

Le plaisir de se mettre à table est trop souvent gâché par la peur de la malbouffe. Comment se réconcilier avec notre assiette ? En écoutant notre faim, notre instinct et nos sens… Tout simplement.

Sentir l’eau monter à la bouche et les papilles frémir ; entendre sa faim avant de s’installer à table ; détecter les différents goûts et s’en délecter ; jouir d’être rassasié après quelques bouchées… Manger en pleine conscience, c’est ça. C’est écouter ses sensations, faire confiance à son corps, laisser parler son instinct et, de l’entrée au dessert, chasser les pensées parasites… Une recette simple comme un plat du jour, que le bon sens devrait tous nous inciter à suivre.
Et pourtant ! Manger est devenu aujourd’hui pour beaucoup une véritable épreuve. Dès l’entrée de sa cuisine, on s’interroge : manger quoi ? Comment ? À quelle sauce ? Face aux fourneaux, les injonctions contradictoires se télescopent dans un bruit de casseroles. Une « cacophonie diététique » résume l’inventeur de l’expression, le sociologue Claude Fischler (auteur de L’Homnivore : le goût, la cuisine et le corps, Odile Jacob, “Poches”, 2010). Noyés sous les alertes alimentaires qui nous rendent méfiants, assommés par les diktats de la minceur et menacés par les lois du perfectionnisme diététique, nous ne savons plus à quel « sain » nous vouer. De guerre lasse, nous hésitons alors à nous vautrer dans l’anarchie alimentaire ou, au contraire, à nous laisser enfermer dans la prison de l’orthorexie.

Perte d'instinct, perte de repères

Dans les cabinets des nutritionnistes, des psys et désormais chez les naturopathes, les patients ne viennent plus forcément pour maigrir, mais pour savoir comment se nourrir. Ces spécialistes le constatent : nous consacrons un temps incroyable à penser à notre alimentation en essayant de la rationaliser avec nos croyances et les connaissances scientifiques du moment… Or ce remue-méninges entre vite en conflit avec notre appétit qui enfle au fur et à mesure que nous le négligeons. Car à trop théoriser sur la nourriture, nous n’écoutons plus nos corps et nos émotions, et nous n’entendons plus les signaux que nous envoient la faim et la satiété. Cette surdité ouvre la porte à tous les excès.
« Lorsque l’on mange avec sa tête, c’est avec méfiance, la peur au ventre », rappelle le psychiatre et psychothérapeute Gérard Apfeldorfer en préambule de Manger en pleine conscience. L’auteure, Jan Chozen Bays, pédiatre et professeur de zen, y propose une méthode à la portée de tous qui permet de redécouvrir les types de faim qui nous assaillent, le rassasiement, la satiété… Son idée maîtresse ? Percevoir l’acte de manger à travers tous nos sens. Pour en retrouver le plaisir et éviter les automatismes qui nous mènent à la malbouffe ou au surpoids, il suffit de porter notre attention dénuée de tout jugement sur le moment présent, en l’occurrence l’acte de manger. Comme lorsque nous n’étions encore que de petits enfants et que nous entretenions encore un rapport instinctif à la nourriture. Selon Jan Chozen Bays, jusqu’à 4 ans, un enfant sait quand il a faim et quand il a assez mangé. Comme le souligne la thérapeute qui anime des ateliers d’alimentation en pleine conscience dans un monastère de l’Oregon : « Les repas sont pour eux des pauses de ravitaillement, brèves mais nécessaires, au milieu de leur période de jeu. Dans l’emploi du temps d’un enfant manger n’est que secondaire. »
C’est en grandissant que les choses se compliquent. La nourriture ne fait plus seulement office de carburant, mais elle sert aussi à nous apaiser, à distraire, à séduire, à récompenser et même à punir… « Tout le processus de l’alimentation est devenu une préoccupation majeure et une espèce de médicament en vente libre pour calmer de nombreuses pressions et l’anxiété générées par les modes de vie hyperactifs », explique la thérapeute. La relation franche et directe que nous avions avec nos repas est parasitée par des habitudes alimentaires transmises par notre milieu et nos proches. Et l’esprit a fi ni par tenir le corps au détriment des sensations. Les « on finit son assiette », les « tu dois manger deux produits laitiers par jour » ou les « ça n’est pas bon pour ta santé » et autres ordres et inquiétudes ont gâché notre sagesse alimentaire innée et notre plaisir innocent.

Retrouver les sensations alimentaires

Concrètement comment faire pour les retrouver ? D’abord manger moins et mieux, résument les spécialistes. Beaucoup d’entre eux voient d’ailleurs se profiler les signes d’une réconciliation avec nos assiettes. Une embellie que nous devons paradoxalement à l’accumulation depuis trente ans des scandales alimentaires, de la vache folle à la lasagne de cheval. Après l’indignation et la méfiance, nous voulons du bon dans notre cuisine. Nous accordons désormais plus d’importance à la qualité des produits, à leur provenance, à leur saisonnalité. Le bio continue son ascension, et, temps de crise oblige, nous devenons aussi locavores en privilégiant les produits locaux. Autre bonne nouvelle, pour la santé et la planète, nous consommons moins de viande qu’autrefois. Nous nous mettons aussi plus souvent à la cuisine, le succès des livres de recettes, des blogs culinaires et des émissions de télé en témoigne.

Or rien de tel que de mettre la main à la pâte pour, selon les spécialistes, recouvrer ses sensations alimentaires et renouer avec le plaisir à table. Autre signe d’une réconciliation : la mise au pilori officielle des régimes amaigrissants pour cause de dangerosité par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) en 2011. Avec leurs obligations, leurs « interdits », ces régimes nous obligeaient à nous contrôler sans cesse, quitte à nous couper de nos envies et de nos besoins et à nous pousser à des excès dangereux.

Apprivoiser sa faim

Faut-il pour autant s’oublier dans la nourriture ? « La seule personne qui sait ce dont elle a besoin, c’est vous », nous disent les spécialistes. Si l’on écoute ses envies et que l’on s’arrête quand on n’a plus faim, le poids est régulé. C’est l’idée de l’« intuitive eating », un mouvement mondial qui prône le rétablissement des sensations alimentaires (mouvement popularisé par Evelyn Tribole et Elyse Resch, auteures d’Intuitive Eating : A Revolutionnary Program That Work, St Martin's Griffinn, 2003). Un régime sans régime que préconisent désormais en France quelques thérapeutes, comme le psychiatre Gérard Apfeldorfer, le nutritionniste Jean-Philippe Zermati et la plupart de leurs collègues du Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (Gros). Première étape : apprendre à reconnaître la faim, la vraie. Pour cela, les thérapeutes préconisent de sauter le petit-déjeuner afin d’attendre les premiers signes physiques : les gargouillis du ventre que certains accueillent parfois avec anxiété tant ils avaient oublié ce que c’était. Une fois la faim apprivoisée, le plus dur est de savoir s’arrêter quand on a assez mangé. Ce sentiment de satiété reste difficile à identifier, surtout lorsqu’on a passé son temps entre restrictions et compulsions. Il survient plus de vingt minutes après que l’on ait commencé à manger. L’impression de perte de saveur de ce qui nous semblait délicieux en début de repas est un autre signal d’arrêt… Dès que le plaisir s’efface, il est temps de cesser de manger, quitte à prendre une collation en attendant le repas suivant.
Enfin, pour renouer avec le plaisir, il est conseillé de mobiliser tous ses sens. Les thérapeutes du Gros demandent à leurs patients de venir avec un aliment préféré, de décrire sa forme, sa couleur, et de le toucher pour en ressentir la texture. Ils sollicitent aussi l’odorat qui réveille souvent les émotions liées à l’enfance, émotions qui ont conditionné notre rapport à la nourriture. Enfin le goût : l’aliment est dégusté lentement et gardé vingt secondes en bouche. Ceux qui font ce test lui découvrent alors bien des saveurs qu’ils ignoraient… « Mais cette pleine conscience n’est pas forcément à la portée de tous et ne se résout pas uniquement autour de la table », remarque le naturopathe Thomas Uhl. Le stress et les émotions négatives sont parfois difficiles à faire taire. Pour lui, il est essentiel de se poser ces questions en mangeant ou en grignotant : suis-je en train de compenser ? Et si oui, pourquoi ce manque de sérénité ? Dans ce cas certaines activités comme le yoga, la méditation, le qi gong ou les danses qui libèrent l’expression corporelle sont indiquées : « Manger en conscience c’est aussi entreprendre une démarche plus holistique qui apporte un équilibre de vie. » En d’autres termes, c’est retrouver une vérité perdue qui tient en trois mots : manger pour vivre. 

10 conseils pour retrouver le plaisir de manger

La plupart des thérapeutes s’accordent sur des conseils simples pour renouer avec les sensations alimentaires et se libérer des schémas qui nous conditionnent.
• Attendez d’avoir faim pour manger. 
• Renoncez au régime et surtout ne commencez pas la journée en prévoyant de vous restreindre. 
• Buvez un verre d’eau avant le repas, car la soif peut être interprétée comme de la faim. 
• Déjeunez en paix, sans radio, ni télé ni ordi, ni journaux et, une fois de temps en temps, seul. À l’écoute de vos sensations, vous ne vous ennuierez pas ! 
• Prenez le temps de regarder, de humer puis de déguster doucement votre repas. 
• Ralentissez au mieux votre rythme, mastiquez, posez vos couverts, buvez une gorgée… 
• En cas d’envie de grignoter en dehors du repas, obligez-vous à vous asseoir et à le manger lentement en l’appréciant. Posez l’en-cas dès que le plaisir disparaît. 
• Notez sur une feuille ce que vous avez mangé et ce que vous avez éprouvé comme émotion à ce moment-là. Cela vous permet de prendre conscience de ce que vous cherchez dans certains aliments : du réconfort, un apaisement, une addiction… 
• Soyez bienveillant avec vous et ne vous reprochez pas vos excès. Attendez seulement d’avoir faim pour le repas suivant. 
• Faites-vous du bien autrement qu’en mangeant.

Comment éviter d’avaler des pesticides ?

Ils sont partout autour de nous. Dans l’eau que nous buvons, dans les aliments que nous avalons, et même dans la pluie et le brouillard ! Comment limiter leur consommation ? Le point avec nos spécialistes.

Les pesticides ? Ce sont ces produits chimiques dont le nom se termine en « cide » et qui ont pour mission de tuer des êtres vivants jugés indésirables pour une raison ou pour une autre. Les insecticides éliminent, comme leur nom l’indique, les insectes?; les fongicides, les champignons; et les herbicides, les herbes dites « mauvaises »… De plus en plus utilisés dans l’agriculture, ils se retrouvent dans nos assiettes et sont aujourd’hui suspectés d’avoir une action nocive pour notre santé. Au point que, à l’occasion du Grenelle de l’environnement (1), le souhait a été exprimé de voir leur usage diminuer de moitié en dix ans. Mais d’ici là, que faire ?
1. Grenelle de l’environnement, organisation visant à favoriser, en France, les mesures en faveur de l’environnement.

Manger et jardiner bio

C’est la plus simple et la plus radicale des solutions, mais également la plus coûteuse. Pourtant, même l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) reconnaît que « le mode de production biologique, en proscrivant le recours aux produits phytosanitaires de synthèse [nom technique des pesticides, ndlr], diminue les risques associés à ces produits pour la santé humaine ». Et une étude conduite sur des enfants montre que le passage à une alimentation bio élimine rapidement les résidus d’insecticides de leur organisme (in Environmental Health Perspectives, février 2006).
Si l’on n’a pas la possibilité de changer radicalement son mode d’alimentation, essayons de privilégier déjà les fruits et légumes biologiques. Les possesseurs d’un potager peuvent cultiver leurs produits selon des méthodes naturelles – de nombreuses jardineries proposent des cours et certaines ont déjà supprimé les pesticides de leurs rayons.

Tenir compte des saisons

La planète ne s’en portera que mieux ! Les produits frais et de saison contiennent généralement moins d’additifs et de conservateurs chimiques que les produits parcourant de longues distances ou cultivés à contre-saison. Ces derniers sont produits toute l’année selon un procédé appelé « hors-sol », qui oblige à les traiter plus qu’abusivement.

Faire le tri

En moyenne, les fruits contiennent davantage de résidus de pesticides que les légumes : d’après la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en 2004, 66 % des légumes étaient cultivés sans résidus, contre 34 % des fruits. Les plus imprégnés : pêches, fraises, pommes, laitue, tomates. Viennent ensuite, les poivrons et le raisin… Les légumes racines sont davantage protégés (à l’exception des pommes de terre, très polluées), tout comme ceux qui sont à l’abri d’une cosse, comme les petits pois.

Regarder les provenances

Les aliments importés peuvent avoir été traités avec des substances interdites en France. Côté fruits, les fraises espagnoles, noyées sous les fongicides et les pesticides, sont l’archétype de ce qu’il faut éviter. Quant aux produits cultivés hors Union européenne, leurs taux de résidus de pesticides peuvent être très nettement supérieurs à la norme imposée par la Communauté, a montré la Direction générale santé et protection des consommateurs (DG Sanco).

Éplucher les fruits et légumes

Indispensable lorsqu’ils ne sont pas bio. Certes, une grande partie des nutriments se trouve dans la peau. Cela dit, les études réalisées sur les fruits et légumes, en vue de démontrer leurs bienfaits sur la santé, sont réalisées à partir d’aliments épluchés, prouvant ainsi que la pulpe est également riche en nutriments. Il est aussi conseillé de brosser les courgettes, aubergines et autres concombres. Les pommes (non bio) font figure d’exception : non seulement elles sont bourrées de pesticides, mais elles sont « cirées » à la morpholine, un additif montré du doigt par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Exit également la rondelle de citron dans les sodas et les infusions, à moins que le fruit soit bio et préalablement lavé.

Enlever les premières feuilles

Ce sont celles qui sont le plus en contact avec l’environnement. Cela concerne l’ensemble des légumes du type chou, endives, salade… D’ailleurs, à propos de cette dernière, mieux vaut éviter la laitue et lui préférer une variété plus rustique – comme la scarole, la mâche, le pissenlit, la roquette, la chicorée de Trévise –, moins traitée et davantage en phase avec les saisons.

Boire avec discernement

D'après le ministère de la Santé, l'eau ne véhicule que 10 % des pesticides que nous avalons. A priori, l'eau du robinet, si elle n'est pas exempte de tout soupçon, est extrêmement surveillée et sera déclarée impropre à la consommation si elle contient, par exemple, trop de nitrates. il est néanmoins recommandé, dans les régions très agricoles, de privilégier l'eau de source en bouteille pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.

Quels effets sur notre santé ?

La contamination de notre environnement justifie les inquiétudes, même si les spécialistes soutiennent que les bénéfices santé en termes de protection apportés par les fruits et légumes restent supérieurs aux risques liés à la consommation de pesticides. Les résidus n’étant pas biodégradables, on en retrouve dans nos tissus adipeux, notre cerveau, notre sang, le lait maternel et même le placenta… Chez les personnes exposées (agriculteurs, enfants, personnes âgées, femmes enceintes), les risques de développer des problèmes respiratoires, des leucémies, des tumeurs au cerveau, une infertilité ou un effondrement du système immunitaire sont prouvés. De tels problèmes ne peuvent être imputés à un pesticide en particulier, mais à ce que les spécialistes appellent « l’effet cocktail », c’est-à-dire au mélange des produits chimiques.

Ruminer fait grossir

Apaiser l’anxiété ou l’angoisse en se jetant sur la nourriture est un réflexe archaïque de notre cerveau. Nous ne sommes pas tous égaux face à ce mode de consolation, mais nous pouvons nous ouvrir à d’autres plaisirs.
Qui n’a jamais ouvert le réfrigérateur à la suite d’une mauvaise nouvelle ou d’une simple contrariété ? Nous consoler avec une barre, voire une tablette, de chocolat nous concerne à peu près tous. Rien d’étonnant à ce phénomène, qui remonte à des millénaires : « La nourriture apaise l’angoisse, c’est vrai depuis les débuts de l’humanité, explique Marie Thirion, médecin et auteure de Pourquoi j’ai faim ?. Imaginez les hommes préhistoriques : ils se lèvent la faim au ventre, inquiets à l’idée de ne rien manger. Ils ne seront rassurés que lorsqu’ils auront quelque chose à se mettre sous la dent. Même si, aujourd’hui, nos placards débordent, cette crainte ne s’est pas effacée de notre cerveau archaïque et domine encore nos comportements. » Ajoutons que consommer de la nourriture, surtout grasse et sucrée, libère les hormones du plaisir, telles que les endomorphines et la dopamine. La nourriture est le meilleur antidépresseur qui soit, vendu sans ordonnance ! Ce dont la société de consommation se délecte, elle qui, via la publicité, nous conseille une flopée d’aliments rassurants à dévorer sans délai, comme nous le répète un célèbre slogan pour un fromage : « ... ou je fais un malheur ! »

Consoler le bébé que nous étions

Même si nous avons le même patrimoine génétique et sommes tous soumis au matraquage publicitaire, force est de constater que nous ne sommes pas égaux devant ce mode de consolation. Certains y sont plus sensibles que d’autres, et cette différence trouve son explication du côté de l’enfance. « La façon dont le bébé a été nourri retentit sur la façon dont l’adulte qu’il est devenu se comporte vis-à-vis de l’alimentation, notamment en cas de difficulté, poursuit Marie Thirion. Le sevrage s’est-il mal passé ? A-t-il eu une mère anxieuse ? A-t-il reçu un biberon alors qu’il avait besoin d’être consolé pour toute autre peine ? Autant de facteurs qui peuvent expliquer qu’il cherche l’apaisement en mangeant. » La recherche de la nourriture est toujours celle de la relation à la mère, constate Jean Benjamin Stora, psychanalyste et psychosomaticien, spécialiste des troubles alimentaires. « On veut la retrouver en mangeant, parce que l’on associe cet acte à un objet maternel qui nous calme – objet dans le sens psychanalytique du mot. » Sans compter les injonctions contradictoires, particulièrement nocives en matière alimentaire. Un exemple ? Le message qui vous demande de manger moins salé en vous mettant des cacahuètes sous le nez, ou moins sucré en agitant une crème glacée, voilà de quoi réactiver des inquiétudes connues dans l’enfance. « Un bébé a besoin de messages clairs, sinon, il s’affole, s’agace Marie Thirion. S’il est soumis, adulte, au même stress de la double contrainte, il s’agite à nouveau et trouve une consolation dans la nourriture apaisante. »

Manger pour faire face au stress

Quand le stress s’installe en continu, avec son cortège de pensées sombres, il perturbe totalement notre appareil psychique. « Sidéré, celui-ci ne répond plus, observe Jean Benjamin Stora. L’hypothalamus, partie du cerveau la plus primitive, prend la relève. Or, il obéit à la programmation qui permettait d’assurer la survie. Et, si l’être humain est capable de contrôler certaines fonctions, il ne peut agir volontairement sur son cerveau. » Et l’on retrouve ici nos vieux réflexes archaïques... « Le cerveau ne fait pas la diférence entre les sources de stress : résultat, il stocke pour parer à l’éventualité d’une disette », renchérit Marie Thirion. En cela, les régimes qui alimentent la frustration, donc le stress, ont l’effet exactement inverse de celui annoncé : ils favorisent la prise de poids, qui elle-même favorise le stress, etc. D’autres vont manger à l’excès parce qu’ils estiment ne pas mériter mieux. « Quand je me regarde dans la glace, avec mes kilos en trop, je me dégoûte, je me trouve nulle, molle : mais, au lieu de me pousser à mincir, je me précipite sur un gâteau, le plus lourd possible », raconte Sabine, 37 ans, qui n’a jamais que quelques kilos en trop... Lorsque, pour des raisons inhérentes à notre histoire, nous avons une mauvaise estime de nous-même, le pas de l’autopunition alimentaire sera encore plus vite franchi.

Tenter de contrôler sa vie

De plus en plus de personnes deviennent obnubilées par le contenu de leur assiette. « Je croyais que les gens ne pensaient qu’au sexe, en fait, ils ne pensent qu’à manger ! » lance le psychiatre Stéphane Clerget, mi-souriant, mi-attristé. Rien de plus naturel que de partager les plaisirs de la table, des goûts et des saveurs, mais, bien souvent, l’inquiétude domine, relayée par un discours culpabilisant : il nous faut manger les fameux cinq fruits et légumes par jour, manger bio, manger moins, manger mieux, tandis que les scandales alimentaires s’enchaînent. Quelle incohérence ! « Bien sûr, les recommandations dont nous sommes bombardés jouent leur rôle, mais certains n’y prêtent guère attention quand d’autres les prennent au pied de la lettre, analyse Jean-Benjamin Stora. Il s’agit souvent de personnalités aux traits de caractère obsessionnels, ayant eu une éducation rigide, pleine d’interdits. » Cette angoisse devant son assiette peut en cacher une autre, ajoute Stéphane Clerget : « La tenta- tive d’en contrôler le contenu est bien souvent une façon de juguler l’impossibilité d’avoir le contrôle dans d’autres secteurs de sa vie. La préoccupation alimentaire évite ainsi l’émergence d’une pensée plus angoissante, voire d’un secret de famille. » Quelque chose nous échappe, d’accord, mais pas ce que nous mangeons.

Conseils pour se remplir autrement

Voici quelques suggestions pour vous aider à lutter contre l’appel du réfrigérateur à l’instant T. Elles ne remplacent en aucun cas l’accompagnement par un thérapeute pour comprendre l’origine des angoisses qui vous poussent à adopter ce comportement. Les sources de plaisir sont nombreuses, et il est possible d’apprendre à les diversifier. « Repérez les zones rouges, les moments où vous craquez régulièrement, et établissez parallèlement une liste de plaisirs à garder à portée de main : prendre un bain chaud, aller au cinéma, écouter de la musique... » préconise Stéphane Clerget. Le travail sur l’imaginaire est un excellent outil pour se « remplir » autrement. « Beaucoup de mes patients ont un vrai déficit de ce côté-là, note le psychiatre. Ils privilégient le sensoriel, n’ont aucun souvenir de l’ambiance des repas, d’histoires qui auraient nourri leur enfance. Ma pratique consiste à leur prêter mon système de pensée pour qu’ils soient capables ensuite de s’ouvrir à d’autres plaisirs. »
Ce qui fonctionne avec les vraies pathologies alimentaires fonctionne aussi chez ceux qui se consolent un peu trop souvent avec la nourriture. « Remplissez-vous de mots en écrivant, en lisant ; d’images en photographiant, en faisant des collages... Personne n’a envie de manger quand il est absorbé par de telles activités », suggère encore Stéphane Clerget. Le recours aux techniques de relaxation et de méditation pour couper cours aux idées anxieuses et au réflexe alimentaire donne aussi d’excellents résultats. Cela permet, en nous apaisant, de ne pas tout mélanger : je n’ai pas faim, j’en ai juste assez de ma collègue de bureau... L’hypnose est enfin un outil performant pour venir à bout de nos ruminations, réguler l’anxiété et soigner les états de dépendance, notamment à la nourriture. Par la suggestion, elle tente de modifier les ressentis, de renoncer à certaines conduites, de remplacer nos ruminations négatives par des pensées positives. Marie Thirion, médecin, établit un judicieux parallèle entre rumination intellectuelle et rumination alimentaire. « Seulement, voilà, conclut-elle en souriant, nous ne sommes pas des vaches ! »

Le régime sans gluten, un nouveau snobisme ?

Éliminer toute trace de gluten de son alimentation: une nécessité pour certains, un choix délibéré pour d'autres. Entre les véritables intolérants et les accros aux régimes en quête d'une nouvelle solution miracle, le régime sans gluten rencontre de plus en plus d'adeptes. Enquête sur les enjeux santé, minceur, et économiques d'un véritable phénomène.

Le naissance d'un phénomène

Le processus est bien rôdé : l’histoire débute aux États-Unis, d’où elle se diffuse à l’échelle planétaire grâce aux meilleures VRP du monde : les célébrités. À longueur d’émissions, Gwyneth Paltrow, Oprah Winfrey, Megan Fox vantent les bienfaits du régime sans gluten (un terme générique désignant des protéines céréalières comme le blé, le seigle, l’orge, l’avoine, l’épeautre). Puis, pour qu’une tendance se transforme en phénomène, il faut des aspirations communes – quoi de mieux que la santé et la minceur – et des enjeux économiques. D’où la floraison d’ouvrages, de conseils et de recettes pour une vie sans gluten, véritable sacerdoce puisqu’il faut tout préparer soi-même. Une manne en revanche pour les industriels. Les emballages sont retravaillés pour que les produits « sans gluten », jusqu’alors associés à la « maladie », deviennent synonymes de bienêtre, de bonne santé et, en creux, de minceur. Un marketing efficace à en juger par les prouesses réalisées au Royaume-Uni, où désormais 20 % des adultes sont persuadés d’être allergiques, alors que le taux de prévalence réel est, comme en France, de 1 à 2 %.

Les ingrédients du "succès"

Devant autant d'individus s'autodéclarant intolérants, Gérard Apfeldorfer, psychiatre, spécialiste des troubles du comportement alimentaire, ne cache pas sa perplexité. « Je n’ai pas vu le phénomène venir, c’est arrivé très rapidement, et la mayonnaise a pris. » Il faut dire que le gluten renferme tous les ingrédients propres à générer une néophobie alimentaire. Le dépistage de son intolérance est rarement demandé, le diagnostic est difficile à établir, les symptômes, communs à de nombreuses autres maladies, varient d’une personne à l’autre et, faute d’études concluantes, les experts se chamaillent sur le nombre d’intolérants qui s’ignorent. Parce que si l’allergie est une manifestation immédiate, visible et extériorisée, parfois violente, l’intolérance est une réaction lente, qui se produit au-delà de deux jours et peut durer toute une vie. Ajoutons à cela que le gluten est « partout », dans les céréales et tous leurs dérivés, mais également dans de nombreuses préparations – c’est un excellent liant en pâtisserie. « Il n’en faut pas plus pour raviver la parano des adeptes du complot alimentaire, renforcer les convictions des orthorexiques et faire resurgir le fantasme de la “substance cachée mauvaise pour la santé”, comme les exhausteurs de goûts, l’huile de palme, les colorants », souligne le médecin. Pour lui, ce rejet s’inscrit dans une vision manichéenne de l’alimentation qui dit que les choses sont bonnes ou mauvaises, et que les secondes doivent être supprimées.
Même écho chez Patrick Serog, médecin nutritionniste et auteur des Enfants, à tables !(Flammarion, 2012), qui rappelle « que tout régime d’éviction repose sur l’idée qu’il existe un responsable à notre état et que, en supprimant celui-ci, nous allons nous sentir mieux – plus minces, plus beaux, plus en forme ».

Un régime alibi ?

À moins qu'il ne s'agisse là d'un nouveau régime minceur déguisé, avec une caution santé à la clé. Sous couvert d’intolérance réelle ou supposée, ce régime supprime les féculents comme le pain, les pâtes, les gâteaux de son alimentation. « Quand vous excluez un composant de vos menus – par exemple le pain, si vous en consommez beaucoup –, il y aura un effet automatique sur votre poids, mais cela ne sera pas durable », confirme le nutritionniste Laurent Chevallier, médecin au CHU de Montpellier et auteur de Soixante Ordonnances alimentaires ( Elsevier Masson, 2011). Et de préciser, au sujet du régime sans gluten, qu’il fait perdre du poids dès lors que les aliments gras et non indispensables sont retirés et que l’apport de céréales reste présent sous forme de riz, de quinoa, de sarrasin… De l’art de dire tout et son contraire ! Médecins et experts sont donc plus que sceptiques, car rien n’atteste qu’une suppression ou même une réduction du gluten présente un intérêt réel pour la santé en général, contrairement au cas du sucre ou à celui des graisses. Inquiète de cet engouement, la puissante Food and Drug Administration (FDA), aux États- Unis, a d’ailleurs précisé en août dernier qu’« aucun avantage nutritionnel n’était avéré pour une personne qui n’a pas de sensibilité au gluten ». Au Royaume-Uni, le Flour Advisory Board (FAB), ou « bureau consultatif de la farine », a jugé l’emballement actuel « extrêmement imprudent ».

Une façon de se distinguer

C’est ce que Gérard Apfeldorfer appelle l’affirmation de soi par la plainte. S’autodéclarer intolérant au gluten, donc, s’obliger à modifier totalement son alimentation, est une façon de dire à soi et aux autres : « Je suis capable de suivre un régime très contraignant. Sous-entendu : j’ai une volonté de fer. » Mais aussi de montrer ses valeurs, sa complexité, son originalité. Se définir par rapport à des choix alimentaires – une posture très américaine – est le véritable changement de comportement. Aujourd’hui, le gluten. Et demain ?

Repérer la maladie

La maladie coeliaque, appelée aussi intolérance au gluten, touche environ 1 % de la population. Il s’agit d’une maladie auto-immune – l’organisme se bat contre lui-même – qui se déclare rapidement chez le nourrisson et très lentement – sur des années – chez l’adulte. Si ses causes restent inconnues, nous savons néanmoins que c’est une fraction protéique du gluten qui provoque entre autres la fabrication d’anticorps antitransglutaminases chez des personnes génétiquement prédisposées. En France, cent cinquante mille cas ont été diagnostiqués. Comment savoir si nous sommes réellement atteints ? Grâce à une prise de sang pour détecter la présence d’anticorps, suivie, en cas de résultat positif, d’une endoscopie et d’une biopsie de la partie haute de l’intestin grêle. Dans certains cas – combinaison de symptômes, hérédité avérée – et en dépit de résultats sanguins négatifs, le médecin peut quand même prescrire une endoscopie. La présence d’anticorps antitransglutaminases n’étant pas toujours significative, on compte encore, avec la prise de sang, beaucoup de « faux négatifs ». Ce qui complique encore un peu plus le diagnostic. Dès lors que l’intolérance est diagnostiquée, le seul traitement est l’élimination à vie de cette substance de son alimentation. Un calvaire. 

« Je suis enfin sortie de la spirale des régimes »

À 23 ans, Carole-Anne se trouve obèse et décide d'entreprendre un régime. Quelques mois et 30 kilos en moins plus tard, elle reprend confiance en elle. Mais pourquoi s'arrêter là ? La jeune femme découvre alors l'ivresse de la minceur, cet engrenage où il faut toujours maigrir davantage... Jusqu'à ce qu'elle décide de s'opposer à ses propres diktats pour laisser, enfin, son corps renaître. Douze ans après, elle raconte.

Le poids des médias

« Brigitte Bardot, Marilyn Monroe... Je me souviens de cette époque – je devais avoir 8 ans – où la mode allait plutôt vers des femmes légèrement rondes, pulpeuses. Des icônes féminines auxquelles je me suis identifiée et qui, je pense, m'ont conditionnée... Jusqu'à ce que je me tourne vers Vanessa Paradis. Là, tout s'est compliqué. Elle est devenue l'archétype auquel je voulais impérativement ressembler : un corps fluet, fuselé, à peine formé. Tout ce que je n'étais pas, et ne pourrai jamais être. M'approcher au plus près de sa silhouette est devenu alors un vrai défi personnel.

Le premier régime

J'ai entamé un premier régime à 23 ans. À ce moment-là, objectivement, j'étais obèse et très mal dans ma peau. Le déclic ? Un vrai choc en regardant des photos de vacances : je me suis dit que ce n'était plus possible... J'ai commencé par perdre 30 kilos. C'est comme cela que la machine infernale s'est mise en marche.

L'engrenage

J'ai alors été précipitée dans un cercle vicieux, dans une obsession de l'idée de minceur qui engendre une hantise de la nourriture. J'envisageais tous les moyens possibles pour rester mince. Et perdre toujours plus de kilos. Car la perte de poids procure une sorte d'ivresse. Plus j'en perdais, plus c'était une victoire. J'expérimentais, brutalement, la nouveauté d'être mince, l’extrême jouissance d'entrer dans une taille 36, d'entendre dire que j'étais trop maigre. D'un coup, j’accédais au Graal, j'y avais droit ! Cela me donnait une impression de surpuissance.
Pour y parvenir, je planifiais tout. Nulle improvisation, nul changement n'était toléré. La plupart de mes repas étaient, par exemple, composés principalement de fromage blanc 0 %, idéal pour caler le ventre sans être calorique. Tout ce qui était ingurgité en plus passait par le spectre du calcul frénétique des calories.

Une maîtrise illusoire

En maîtrisant mon poids, j'avais le sentiment de pouvoir bénéficier de cette même maîtrise sur ma propre vie. Si j'étais en mesure de dompter mon corps, je me disais qu'il serait facile de dompter ma vie professionnelle, mes relations, ma vie affective... J'étais alors surprise lorsque tout ne se passait pas comme je l'avais décidé. Pour exemple, j'ai connu un gros chagrin d'amour qui m'a beaucoup frappée, par contraste. Je me disais que j'avais la capacité de diriger mon corps, de lui faire devenir ce que je voulais qu'il devienne, maisacontrario, un garçon dont j'étais amoureuse ne m'aimait pas en retour. Comment cela était-il possible ?

La prise de conscience

Malheureusement, je n'avais pas alors conscience de cet engrenage et je me suis rendu compte des dégâts trop tard. J'ai fini par m'apercevoir que mon esprit était complètement occupé par ces histoires de nourriture et que tout le monde en était témoin. Quand j'abordais le sujet de l'alimentation avec des collègues, il était évident que mon comportement était louche. Autant le processus d'amaigrissement s'était enclenché rapidement après avoir vu ces photos de vacances, autant la prise de conscience a été beaucoup plus lente. Il m'a fallu beaucoup de temps avant de me dire que j'étais en train de devenir folle avec cette obsession des calories, avec ce fromage blanc, avec ma terreur de ne plus rentrer dans un pantalon taille 36. Aujourd'hui, je sais que c'était à ce pantalon de sortir de ma vie, que c'est lui qui avait tort. Mais cela a pris plusieurs années.

Le goût du paradis perdu

Avec le recul, il est certain que cette période reste pour moi comme un Eden. Je sais qu'à ce moment-là j'étais mince comme je ne pourrai certainement plus jamais l'être. J'en ai conscience. J'aurai toujours un léger goût de paradis perdu. Mais toutes les souffrances qu'il fallait que je m'inflige pour avoir ma place dans ce jardin d'Eden me reviennent en mémoire très vite : devoir vivre avec la faim au ventre, avec l'obsession permanente de la composition de mes repas... Mon paradis ressemblait souvent beaucoup plus à un enfer. C'est, de plus, très réducteur dans la vie de ne penser qu'à ça. Il y a des choses beaucoup plus capitales, il suffit de penser au nombre de personnes qui meurent de faim. S'infliger la faim pour des raisons aussi futiles est déraisonnable, démentiel. Je ne suis pas faite pour être ultra mince. Si jamais je rentre un jour à nouveau dans un pantalon taille 36, cela voudra dire que ma vie sera devenue invivable. »

Comment leur transmettre le goût du bio?

Que transmettons-nous à nos enfants? Des principes, des valeurs, mais aussi des saveurs. Cette initiation passe par l’exemple et la répétition. Ce qui exige beaucoup d’amour… et de patience.
Nous voudrions protéger nos enfants des risques d’obésité, de diabète, de cholestérol, leur concocter un régime anticancer, tout en leur faisant découvrir les richesses du terroir, nos traditions familiales.
Et puis, régulièrement, nous voilà paralysés par d’affreuses inquiétudes : les poissons sont contaminés par les métaux lourds, les mammifères par les prions et les biberons par le bisphénol A. Par réaction, par peur, souvent par conviction, nous nous tournons alors vers le bio, ses produits, ses valeurs, en rupture avec ce que nos parents nous ont transmis, et souhaitons à notre tour partager ces choix avec nos enfants, leur faire connaître ce goût du bon, du sain, de l’éthique.
À notre tour, nous nous interrogeons : comment, quand et que transmettre ?

Eduquer par tous les sens

Plus de cinquante mille consultations ont convaincu Patrick Sérog, médecin nutritionniste, de l’importance de la transmission alimentaire parents-enfants. « On ne peut laisser à d’autres le soin d’éduquer nos enfants. La dimension affective est fondamentale, il faut prendre le temps de partager nos émotions, réhabiliter le repas familial, cuisiner ensemble (1). »
Pour Patrick Sérog, il existe deux types de transmission. La première, génétique, qui est ancrée dans l’ADN, par exemple manger pour vivre, ou encore la nécessité de la variété alimentaire pour assurer la croissance et la survie. Celle-ci se fait malgré soi, selon un processus complexe et inévitable, naturel et impulsif. « Elle se transporte au corps à corps, elle se propage par les récits, par les images évoquées, par la manière d’en parler », écrit Boris Cyrulnik dans son Autobiographie d’un épouvantail (2). C’est un legs mystérieux, l’héritage nutritionnel est une démarche d’ordre émotionnel qui implique l’odorat, le toucher, le goût, la pensée, l’instinct.
La seconde, épigénétique, englobe, elle, tout ce que l’environnement au sens large – comportement, hygiène de vie, pollution, alimentation… – va modifier dans notre vie. Transmettre le goût et les valeurs du bio s’inscrit dans cette catégorie et vient s’ajouter à la première. Il s’agit d’inculquer à nos enfants des principes selon un programme raisonné et volontaire comme : manger « responsable », privilégier les produits bio et ceux issus du commerce équitable, proscrire de leur alimentation le thon rouge en voie d’extinction, se méfier des organismes génétiquement modifiés, privilégier les conditionnements grand format par souci écologique, moins polluants, choisir des produits locaux, respecter les saisons…
Nous ne transmettons pas de la même façon ce que nous-mêmes avons acquis récemment et ce qui existe depuis toujours dans la famille, ce que nous avons vécu déjà dans le ventre de notre mère. Il y a beaucoup de choses que nous faisons parce que nous sommes convaincus que c’est bien pour eux. C’est ce qu’on appelle les essentiels, et c’est non négociable.
Chaque famille, chaque parent a des essentiels qui sont propres à sa culture, à ses croyances, à sa tradition. Cependant, il faut que ces convictions correspondent à la réalité du monde dans lequel on vit, sinon ils ne seront pas compris et assimilés par les enfants. Par exemple, le fameux « Finis ton assiette » correspondait à une réalité économique qui a moins de raison d’être aujourd’hui.

Leur faire apprécier la différence

« Souvent, en consultation, j’entends des mères me dire à propos de tel comportement alimentaire : “Je fais attention à ne pas l’inculquer à mes enfants”, reprend Patrick Sérog. Et pourtant, elles le transmettent malgré leurs propres résistances. » C’est plus fort que soi. Consciemment ou pas, nous diff usons qui nous sommes, ce que nous aimons ou n’aimons pas, ce à quoi nous aspirons. Une mère qui s’inquiète constamment de la provenance des produits lèguera cette préoccupation à son enfant de même, celle qui exclut un type d’aliment de son assiette – le gras ou le sucré – verra son enfant l’exclure ou, au contraire, le manger à l’excès dès qu’elle aura le dos tourné.
Mais comment transmet-on? Par l’exemple? En suivant un chemin progressif balisé d’étapes identifiées? Ou au gré des opportunités, sur un mode spontané? Comment influer sur le contenu des repas sans forcer les enfants à manger ce qu’ils n’aiment pas? Autrement dit, comment leur faire apprécier le chocolat équitable du Costa Rica ou les petits navets boule d’or? « Sans diffi culté dès lors que vous l’aimez vous-même et que vous en mangez », nous assure Patrick Sérog. Nous ne transmettons correctement que les valeurs auxquelles nous croyons et les saveurs que nous apprécions.
Pour le bio comme pour le reste, il est question d’apprentissage du goût. A priori, une tomate bio ressemble à une tomate issue de l’agriculture intensive, seule la saveur diffère. L’initiation passe par la répétition des choses, le respect des goûts et dégoûts, le faire-ensemble…
Puis vient le temps du legs des valeurs. Il est important de dire à nos enfants pourquoi manger bio est essentiel pour nous. Nous pouvons l’amener dans un champ d’agriculture biologique, puis lui montrer la différence avec la culture de masse. Nous pouvons faire les courses au marché bio ou suivre des ateliers de cuisine avec lui.
« Les enfants, à table! — Qu’est ce qu’on mange? » Ainsi, chaque soir, se rejoue la même partition à la table des négociations. La tâche est parfois ingrate. Finalement, génération après génération, les parents répètent les mêmes conseils. L’éducation alimentaire est un processus quotidien qui requiert de la patience, de l’autorité, mais aussi beaucoup d’amour et de conviction.

Des ados antibio

Pourquoi notre petit ange, qui raff olait de nos créations tofu-sésame et récitait les couleurs du tri sélectif avant l’alphabet, est-il devenu un ado antibio? Parce que comme tous les autres, il brûle de développer sa personnalité et de s’affranchir du cercle familial en rejetant ce qui a précédé. C’est également le temps de l’expérience des conduites à risques, or l’alimentation bio symbolise ce qui est sain et bon pour la santé. C’est la nourriture de la mère par excellence.
Hamburgers, paninis et rien d’autre? Sa façon de s’alimenter est aussi un moyen d’affirmer son indépendance. Et même si vous avez l’impression que vos conseils glissent sur lui comme une musique d’ascenseur, ne pensez surtout pas qu’il n’en restera rien. Celui qui n’écoute pas peut entendre.

Céréales complètes : qu’ont-elles en plus ?

Auparavant cantonnées aux magasins bio, les céréales complètes ont peu à peu pris place dans les rayons de tous les supermarchés. Aujourd’hui, mêmes les grandes marques de l’industrie alimentaire s’y sont mises. Pâtes intégrales, riz complets, farines entières… Que se cache réellement derrière ces appellations ? Que gagne-t-on à manger « complet » ? Des pistes de réponses avec William Grosselin, nutritionniste et naturopathe.
Blé, avoine, riz, seigle… Les céréales sont utilisées dans l’alimentation des hommes depuis des milliers d’années. Mais si nous les consommions entières jusque dans les années 1800, les progrès de l’industrie, permettant de décortiquer les grains, ont révolutionné notre mode alimentaire. Avec d’un coté, le son et le germe, et de l’autre, l’endosperme. Résultat, en ne gardant que le corps des graines, nous avons obtenu des produits plus digestes, plus souples, qui se conservent plus longtemps et cuisent plus vite. Un progrès que l’on paie peut-être au prix fort, car en chemin, les céréales ont perdu leur enveloppe, si riche en fibres, et leur germe, qui renfermait la plupart des nutriments.

Reconnaître les produits céréaliers complets

Une coloration un peu brune de votre pain de mie ou une formule type « riche en fibres » ou « multi-céréales » sur un emballage ne suffisent pas à prouver que le produit que vous avez entre les mains est fabriqué à base de céréales complètes. Pour en avoir le cœur net, il est donc nécessaire de lire les étiquettes de plus près. L’adjectif « complet » (« céréales complètes », « graines complètes », ou « 100 % blé complet ») doit figurer sur l’emballage. Pour les farines, il faut se fier au chiffre qui arrive derrière la lettre T. Plus le chiffre est grand, plus la farine est complète (de T80 pour la semi-complète à T150 pour l’intégrale).

Riches en fibres et en nutriments

Le son, c’est à dire l’enveloppe externe de la graine céréalière, est très riche en fibres, dont les bienfaits pour le cœur et l’appareil intestinal sont depuis longtemps reconnus. Mais les fibres ne sont pas les seuls atouts des céréales complètes, car le germe lui, est riche en vitamines (B et E). Consommées en intégralité, elles nous apportent aussi des minéraux (fer, magnésium, zinc, potassium, sélénium) et des acides gras essentiels.

Bonnes pour la santé

« Il n’y a aucune contre indication avec les céréales complètes, souligne William Grosselin, sauf cas rare ou allergie. Au contraire, le complet lutte contre le cholestérol et convient très bien aux diabétiques, car il y a moins de pic d'insuline avec une farine complète qu'une farine blanche. Elle est aussi bénéfique dans la maladie de Crohn par exemple. Avec son indice glycémique moins important que le blanc, le complet à tout bon. » En outre, de nombreuses études ont démontré les bienfaits du complet dans la prévention des accidents cardio-vasculaires (20 à 30 % de risque en moins), des cancers gastro-intestinaux (diminution de 20 à 40 % du risque) ou encore, dans la lutte contre l’obésité (les céréales complètes permettraient d’atteindre et de conserver plus aisément un poids corporel équilibré).

La bonne dose, au bon rythme

Néanmoins, la plupart des experts sont unanimes : pour profiter pleinement des effets positifs des céréales complètes sur notre organisme, il faudrait en consommer trois portions par jour. Ce qui devient le cas lorsque l’on passe au tout complet : des céréales du petit-déjeuner aux biscuits du goûter en passant par la garniture et l’accompagnement de nos plats. Tentés ? N’y allez pas trop vite tout de même ! L’organisme a besoin d’un peu de temps pour s’habituer à leur plus riche teneur en fibres. Si vous souhaitez vous y mettre, vous pouvez par exemple suivre le conseil de notre nutritionniste : « Augmentez progressivement votre consommation, et pourquoi pas, commencez doucement avec le semi-complet. »

Demain, tous végétariens ?

Par goût ou par dégoût, pour des raisons de santé ou pour épargner les animaux et la planète, la composition de nos assiettes change. Simple effet de mode ou réelle volonté de modifier nos habitudes alimentaires ? Enquête.
« Au retour d’un voyage en Inde, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus manger de viande. Non seulement je me sentais perdre toute énergie, mais j’avais la désagréable impression de manger des cadavres… », raconte Élodie Beaucent, créatrice deFood’Joie, entreprise proposant des ateliers culinaires. Même si les crises sanitaires de la vache folle (1996 et 2000), de la fièvre aphteuse du mouton (2001) et de la grippe aviaire (fin 2005) ont limité ponctuellement nos achats de viande (moins 30 % dans les quatre mois qui suivirent ces affaires d'après la Synthèse des données statistiques Agreste conjoncture-ministère de l’Agriculture et de la Pêche, juin 2008), la consommation de produits carnés reste élevée : « En cinquante ans, elle a été multipliée par deux, tandis que celles de légumineuses et de produits céréaliers se sont effondrées respectivement de 75 % et 50 % », assure Lylian Le Goff, médecin, environnementaliste et auteur avec Laurence Salomon de Ceci n’est pas un régime…(Marabout, 2011).

Une tendance qui s’accentue

Si, chez les Anglo-Saxons, le végétarisme est une évidence (8 % de la population au Royaume-Uni, 12 % aux États-Unis), en France, l’idée d’une assiette sans viande fait progressivement son chemin dans les esprits. « Le “courant végétal” ne toucherait en réalité qu’une faible partie de la population », tempère Jean-Pierre Corbeau, professeur de sociologie de la consommation et de l’alimentation à l’université de Tours et a directeur de l’ouvrage Nourrir de plaisir (Les Cahiers de l’Ocha, 2008). Il s’agit surtout d’une population à fort pouvoir d’achat : « Une génération dont les parents n’ont pas connu, donc pas transmis, la peur de manquer », analyse-t-il. Pourtant, le très surprenant succès littéraire de l’essai Faut-il manger des animaux ?de l’Américain Jonathan Safran Foer, montre que la tentation végétarienne gagne du terrain. À travers une enquête de plus d’un an dans les fermes-usines, l’auteur décrit l’horreur des élevages industriels et plaide pour des pratiques responsables, soucieuses du bienêtre des animaux et de l’environnement. Devenue elle aussi végétarienne, la juriste d’origine argentine Marcela Iacub livre dans Confessions d’une mangeuse de viande son passé d’accro au boeuf. Le droit des animaux et la souffrance animale n’intéressent plus seulement les végétariens, mais touchent désormais une plus large part de la population. Reste que la viande, symbole de luxe et de réussite sociale, dont les légumes n’étaient que la garniture, perd son statut royal. Manger de la viande – symbole plutôt masculin de la puissance, de la force physique et de l’énergie exacerbée – correspond de moins en moins à l’image de soi, plus féminine, plus légère, qui cultive les énergies, mais intérieures cette fois, que nous souhaitons donner.

Une question de santé

De leur côté, de nombreux médecins, nutritionnistes mais aussi cancérologues, s’interrogent désormais sur l’intérêt santé de consommer des viandes. « Certes, l’apport en vitamine B12, vitamine D et fer facilement assimilable correspond à un besoin nutritionnel réel, observe le docteur Laurent Chevallier, consultant en nutrition et praticien au CHU de Montpellier et auteur de Je maigris sain, je mange bien (Fayard, 2011). Mais ces nutriments peuvent se trouver dans d’autres produits d’origine animale et par l’association de céréales et de végétaux ». En outre, une étude* notait que les grands mangeurs de viande rouge et de viande transformée (jambon, bacon…) présentaient 35 % de cancers du côlon en plus par rapport aux petits mangeurs. D’autres études ont depuis souligné que la présence d’acides gras saturés favorisait l’émergence d’autres types de cancers (sein, rectum), des maladies cardio-vasculaires et du diabète. « La consommation de viande a également tendance à “acidifier” le corps, provoquant ainsi fatigue, fragilité des os et des tendons », ajoute Laurent Chevallier. Mais attention, il ne suffit pas de réduire ou de supprimer la viande pour limiter les cancers, encore faut-il manger davantage de légumes et de fruits pour constater une influence réelle sur la survenue des maladies.
*« Meat, fish and colorectal cancer risk » de T. Norat, S. Bingham, P. Ferrari et al., in Journal of the National Cancer Institute, juin 2005.
Dans la balance bénéfices-risques, le bifteck présente d’ailleurs de moins en moins d’intérêt nutritionnel. « L’alimentation, trop riche en oméga-6, et les conditions d’élevage contribuent à fragiliser la santé des animaux, souligne Laurent Chevallier. Il faut les vacciner, les gaver de médicaments et autres vitamines. » Et de préciser qu’avec mille deux cents tonnes d’antibiotiques consommés par an en médecine vétérinaire (soit deux fois plus que pour les humains !), la France est au deuxième rang européen des plus gros consommateurs d’antibiotiques animaux. Enfin, la forte consommation de viande a des effets délétères sur la planète. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production mondiale de viande serait à l’origine de près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. « Un tiers des poids lourds roulent pour notre assiette, indique Lylian Le Goff . Par ailleurs, il faut trois mille huit cents litres d’eau pour obtenir un kilo de viande de porc, contre mille trois cents litres pour un kilo de céréales et neuf cents litres pour un kilo de pommes de terre. Pour réduire notre bilan carbone, la plupart des spécialistes recommandent, entre autres, de réduire notre consommation de viande. Il est temps de prendre conscience des méfaits liés à une surproduction de protéines animales et de changer notre comportement individuel. »

Vers une éthique alimentaire

Comment ne pas se sentir concerné par tous ces arguments qui nous démontrent jour après jour que manger moins de viande représente un intérêt pour soi et pour la santé de la planète ? Mais faut-il pour autant devenir végétarien ? « À condition de ne pas l’imposer aux autres », fait remarquer Dominique Lestel, philosophe, éthologue, spécialiste de la communication homme-animal et auteur d’une étonnante Apologie du carnivore (Fayard, 2011). Selon lui, le végétarisme ne doit pas être une posture éthique – qui assimile le fait de manger de la viande à un comportement immoral –, trop puritaine à son goût : « Considérer cela comme un problème éthique est une position voisine de celle qui fait de la sexualité une activité immorale. On a vu où cela menait », écrit-il. En revanche, le philosophe reconnaît aux végétariens un rôle fondamental : celui d’ouvrir les yeux des « carnivores » sur les conséquences de leur consommation aberrante de viande.
Loin de prôner la diète végétarienne, Dominique Lestel estime que l’homme doit devenir un carnivore éthique, et plaide pour une « consommation limitée, voire ritualisée, de viande. Autrement dit, faire de chaque repas carné une cérémonie, et limiter notre consommation à ces occasions, à condition toutefois que la viande provienne d’un animal bien traité ». Une idée à laquelle adhère Laurent Chevallier, qui prône un retour à une alimentation de « chasseur-cueilleur » adaptée au XXIe siècle, centrée sur les légumes et les fruits accompagnés de quelques protéines animales provenant d’élevages bio ou de qualité. Ce végétarisme à temps partiel – qui exclut plutôt la viande mais conserve souvent la consommation des oeufs, des produits laitiers, du poisson, parfois même de la volaille – séduit de plus en plus. Il a même donné naissance à nouveau courant alimentaire : le « flexitarisme ». Carnivore éthique, chasseur-cueilleur, « flexitarien »…, derrière tous ces mots, une seule et belle idée : apprendre à se « déconditionner » d’une alimentation trop carnée qui a une réelle incidence sur notre environnement et sur notre santé.


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